Capter les courants faibles et décoder les signes précurseurs, pour mieux transmettre des éclairages prospectifs aux acteurs de la filière mode, telle est la mission de Pascaline Wilhelm et des équipes de Première Vision, dont l’édition parisienne, en février dernier, fusionnait éco-responsabilité et fashion tech, dans un même espace dédié à l’innovation. La directrice mode de Première Vision en dit plus long au Boudoir Numérique sur son métier de décryptage des tendances, sur les porosités entre technologie et durabilité, de même que sur sa volonté de “pratiquer l’éco-responsabilité joyeuse”.
Par Ludmilla Intravaia
Le Boudoir Numérique : Quel est votre rôle au sein de Première Vision ?
Pascaline Wilhelm, directrice mode de Première Vision : Moi et mon équipe sommes en charge de la captation des tendances au niveau international, autant d’informations récoltées qui font l’objet de décryptages et de synthèses de mode, transmises à nos exposants pour qu’ils les intègrent dans leurs collections, en complémentarité de leurs propres bureaux de style et des données qu’ils glanent de leur côté. Nous jouons un rôle fédérateur d’observateur à 360° et d’analyste de l’offre unique au monde car, chaque saison, les exposants nous envoient leurs produits que nous sélectionnons, afin de les mettre en lumière sur nos salons Première Vision, Blossom ou encore Denim. Nous recevons quelque 15.000 tissus par saison, 5000 cuirs, des dizaines de milliers de boutons, de zips, etc. Nous avons donc dans les mains le meilleur de la créativité internationale, ce qui nous permet de pointer les courants faibles et forts, d’accumuler les plus petits signes, afin d’obtenir des analyse très construites, communiquées au marché, dans un délais extrêmement court. Ces tendance et concepts sont ensuite exprimés, dans nos événements, sous diverses formes, images, films, scénographies, etc., de sorte qu’ils demeurent au niveau d'exigence des évolutions de la mode, dans cette volonté prospectiviste absolument passionnante qui est la nôtre.
Pour célébrer les 45 ans d’existence de Première Vision, le livre “Mode, matières et révolutions” est sorti en décembre dernier, retraçant l’histoire du salon, au gré des tendances qui ont émaillé le flux de la mode. L’un des chapitres de l’ouvrage est consacré à la “nécessité écologique”. Quelle est la position de Première Vision en ce domaine ?
L'environnement est une question que nous traitons depuis longtemps chez Première Vision et qui s’est concrétisée avec une plateforme dédiée, Smart Creation, en 2015. Nous avons voulu approfondir le sujet, en mettant en avant des solutions claires et précises, pour éviter tout danger de greenwashing. Aujourd’hui, nous avons des réponses industrielles vérifiées à offrir aux acheteurs, de la matière première au produit fini, de vraies réponses qui permettent de polluer moins, de consommer moins d'eau, d'énergie, de chimie et de fabriquer les produits les plus cleans possibles, même si nous ne vivons pas dans un monde idéal. Chez Première Vision, nous mettons en avant les initiatives les plus innovantes en cette matière et nous constatons que, récemment, beaucoup de nouveautés de qualité sont apparues qui n’étaient même pas à l’ordre du jour, il y a encore trois ans. Les industries s’adaptent, comme celle du denim qui s’est attelée à la gestion de la transition écologique, d’une manière extrêmement intelligente et sérieuse. L’hiver dernier s’est, par ailleurs, révélé une étape de changement significative, en termes d’éco-responsabilité. Et sur le printemps-été 2021, il n'y a dorénavant plus une seule proposition de mode qui ne soit pas disponible dans sa version respectueuse. L’éco-responsabilité est désormais un tremplin pour développer des choses nouvelles. Par exemple, en cuir, le fait de ne plus utiliser des produits métalliques pour le tannage permet d’entreprendre des recherches de couleurs qui n'existaient pas auparavant. C'est formidable, quand on créatif car il ne s’agit pas de se dire : il faut faire moins, il faut faire plus fade pour être écologique. N’ayons pas une vision rétrécie de l’éco-responsabilité qui n’est ni triste, ni ennuyeuse mais une contrainte positive. Pratiquons l’éco-responsabilité joyeuse.
Et la technologie dans tout ça ?
C’est le sport, avec notamment ses accessoires de mode et ses wearables, qui est le précurseur le plus innovant, en termes de technologie. Les polyesters recyclés, les nanotechnologies non polluantes, les membranes biodégradables mais aussi la connectivité, la luminosité, la thermicité… tout cela est le fruit des investissements des entreprises de sport dans la recherches et développement. Comme le sport est intimement lié au corps et au bien-être, ces marques proposent beaucoup de produits éco-responsables.
Dans un tel contexte, il semblait donc logique de fusionner vos deux espaces fashion tech et mode éco-responsable, dans un même lieu dédié à l’innovation, Smart Creation, lors de la dernière édition de Première Vision Paris (pour en savoir plus, lire l’article du Boudoir Numérique ici).
Nous ne sommes pas là pour lutter les uns contre les autres mais pour servir l’avenir. Nous avons la chance de travailler dans le métier de la mode, où il y a énormément de porosités, notamment entre la technologie et l’éco-responsabilité. On le voit très bien avec l’émergence des startups et des nouvelles générations, on ne peut plus concevoir un vêtement sans penser à l’éco-responsabilité. Et pour y arriver, on a besoin de la technologie, on a besoin de l'intelligence artificielle, de nouveaux conducteurs, de continuer à miniaturiser les choses, et ça, c'est la tech qui va l'apporter. Je suis très optimiste pour le futur. Les petites graines que nous avons semées commencent à s ‘épanouir. Des champs de découvertes exceptionnels s’ouvrent à nous. Ça n'a pas bougé dans les années 2000, il y a 10 ans non plus, maintenant, ça bouge enfin.
* Le salon Première Vision Paris a eu lieu du 11 au 13 février 2020, au Parc des Expositions de Villepinte. Le site internet de Première Vision est ici. La page de Smart Creation est là.
* Le livre Mode, matières et révolutions de Lydia Bacrie et Charlotte Brunel est sorti aux Editions La Martinière, le 5 décembre dernier (240 pages, 49 euros).
* Poursuivez votre lecture sur Première Vision avec les articles du Boudoir Numérique suivants :
- “Smart Creation 2020 : Le Boudoir Numérique y était”
- “Une solution innovante pour une mode plus responsable”
- “Notre mannequin-robot réduit le gaspillage textile”
- “Wearable lab 3 : Le Boudoir Numérique y était”
- “Fashion tech et éco-reponsabilité doivent aller de pair”
- “Les accessoires de mode en 3D printing biodégradables vont se multiplier”
- “Pourquoi ne pas imprimer de la fast fashion biodégradable ?”
- “La technologie n’est pas assez mode”
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- “Interview de Clara Daguin, créatrice de la tenue interactive Thorax”