La designer anglaise Sarah Angold a fait du mariage entre les nouvelles technologies et l’héritage des compétences artisanales le cœur de son travail pluridisciplinaire. Entretien avec celle qui intègre du RFID dans des couronnes de princesse.
Le Boudoir Numérique : Le public a découvert vos bijoux connectés, lors d'un événement dédié à la technologie dans la mode, au début de l'année (lire l'article "Wearable Lab, la journée fashion tech en images"). Quelle est votre approche de cette discipline?
Sarah Angold, designer : Installations sensibles à la présence humaine, accessoires de mode intégrant de la radio-identification, bijoux réalisés en 3D printing ou en découpe laser…, mon travail est pluridisciplinaire mais axé sur une constante : la fusion entre technologie et artisanat. Le mariage entre le futur et l'héritage des compétences est au cœur de ma passion.
Comme le designer de mode Olivier Lapidus qui a fait réaliser, dès la fin des années 90, un tissu en fibres optiques sur des métiers à tisser jacquard traditionnels (lire l'article "L'intégration de la technologie au vêtement est une évidence"), peut-on dire que vous prônez le cross-fertilisation entre le savoir-faire artisanal et les nouvelles technologies?
Oui, tout à fait. La technologie, couplée aux compétences artisanales, a un rôle crucial à jouer dans le développement de la mode et du design en général. Les pièces exposées au Wearable Lab, la couronne Kate Coronam et le collier KinglaCom, sont une parfaite illustration de cette démarche. La conception de la couronne, dessinée par mes soins, a été assistée par ordinateur. Les pièces décoratives de cet accessoire, réalisé par impression 3D, ont été exécutées à la main, de même que toutes les finitions sur le plastique, laqué méticuleusement, couche par couche, à la manière des voitures de sport Maserati ou Porsche. De plus, outre le processus de production, la technologie nous permet de générer de l'interactivité entre nos accessoires.
Comment?
Notre couronne et le bracelet intègrent la technologie RFID (de l'anglais radio frequency identification ou radio-identification permettant la transmission de données à distance, NDLR), afin d'interagir avec un miroir connecté. Dès que ce dernier a identifié, dans la pièce, la présence de personnes arborant ces accessoires, il commence à communiquer avec elles, en leur proposant une sélection de vidéos ou en modifiant la lumière ambiante.
A quoi cela sert-il?
La technologie RFID n'est pas nouvelle. Elle permet, par exemple, de faire des inventaires de produits. Mais nous voulons aller plus loin, en l'utilisant pour améliorer l'expérience du consommateur en magasin, atout indispensable pour faire face à la concurrence de la vente en ligne. Des compagnies comme Rebecca Minkoff (marque de mode américaine, NDLR) travaillent déjà avec ce type d'outils.
Votre miroir, accompagné de sa couronne, est-il en vente?
Le miroir est un prototype fonctionnel destiné à démontrer aux entreprises la faisabilité de notre concept. Nous n'espérons pas vendre des milliers de Kate Coronam pour parler avec sa couronne devant un miroir. Mais bien de faire comprendre aux industriels de la mode les possibilités d'un outil qui, financé à large échelle, pourrait complètement transformer la façon dont les gens achètent. Une perspective d'autant plus stimulante que, dans un deuxième stade, nous souhaitons nous intéresser à la vie du produit (un sac, une robe, un bracelet, etc.), après sa sortie de la boutique, pendant toute sa durée de consommation par le client. Et cela, afin d'en savoir plus sur la manière dont le consommateur interagit avec le produit et donc, mieux communiquer avec lui.
La couronne Kate Coronam est fabriquée par impression 3D. Que pensez-vous de ce moyen de production, notamment en termes de développement durable?
Plus cette technologie va se démocratiser, les machines devenant meilleures et moins chères, plus leur usage sera courant, même chez les particuliers. Comme le 3D printing permet de retreindre l'emploi de matériaux au strict nécessaire à la production d'un objet, l'impact sur le gaspillage devrait être bénéfique. Déjà, dans un studio de design par exemple, l'impression 3D permet de réaliser des prototypes in situ, sans les délocaliser, ce qui réduit les transports inutiles. Ceci étant dit, il est clair que, comme pour toute technologie, la responsabilité éthique repose dans les mains de ceux qui l'utilisent. Je considère, pour ma part, que tout designer digne de ce nom devrait se préoccuper des conséquences environnementales de son travail.
La designer hollandaise de fashion tech Anouk Wipprecht (lire l'article "La couture électronique exprime qui nous sommes") était également présente au Wearable Lab. Etes-vous, à son instar, intéressée par les recherches sur les vêtements captant les émotions humaines?
En effet, un de mes premiers projets était un tableau de bord de voiture réagissant à la présence d'une personne, dans le siège du conducteur. C'est un challenge intéressant, bien que pour l'instant limité par les représentations que nous nous faisons des émotions ressenties. Ainsi, si les pulsations cardiaques augmentent, nous choisirons d'identifier ce phénomène comme de l'excitation, sans plus de subtilité car nous ne disposons pas encore d'un éventail d'outils assez large pour saisir toute la gamme des émotions humaines. Pousser plus avant les recherches pratiques en ce domaine ouvre un champ d'investigation captivant.
Pour certains, la fashion tech se borne à la futilité de quelques robes "bling bling", agrémentées de LED clignotants. Comprenez-vous ces critiques?
Oui. Les critiques, selon lesquelles la fashion tech serait un gadget inutile, ne sont pas surprenantes. Il s'agit là d'un mécanisme naturel, accompagnant toute nouveauté en développement. Pour l'instant, la fashion technology en est au stade de la "proof of concept" (ou "preuve de concept", étape expérimentale du développement d'un produit visant à démontrer sa viabilité sur le marché, NDLR). Les gens n'arrivent pas à imaginer en quoi elle pourrait être pratique dans leur vie de tous les jours. D'autant plus que les créateurs de technologie ont encore tendance à imaginer leurs produits, dans leur coin, en ne faisant appel à la mode, qu'au dernier moment, afin de lui donner une jolie apparence. La mode, toujours un peu méfiante vis-à-vis de la technologie, fait pareil, de son côté. C'est la raison pour laquelle de nombreux gadgets inondent le marché. La clé du succès serait de travailler main dans la main, dès le début du processus de création. Dialoguer dans un langage commun, tel est le challenge à relever. Nous savons que le processus sera graduel mais nul doute que la fashion tech s'avèrera utile dans le futur, notamment, quand miniaturisée, la technologie s'intègrera totalement aux vêtements. Cela va arriver, c'est une simple question de temps.
Pensez-vous avoir un rôle à jouer dans ce rapprochement futur entre mode et technologie?
Oui. Notre miroir interactif est exactement le genre de projets susceptible de faire avancer les choses dans le bon sens. La mode, en crise, est en train de se ressaisir et de reprendre du poil de la bête, en revoyant le timing de présentation des collections, par exemple, en réorganisant la production des saisons ou encore en accueillant, en son sein, de jeunes pousses innovantes. Cette folle mutation laisse de la place à ceux qui souhaitent se réinventer, notamment par le biais de la technologie. Parfois, un monde doit s'écrouler pour en bâtir un autre. En un sens, c'est ce qui arrive à l'industrie de la mode qui va se reconstruire dans la modernité. Pour ma part, faire partie de cette aventure fascinante me réjouit au plus haut point.
* Le site internet de Sarah Angold : www.sarahangold.com.
LUDMILLA INTRAVAIA