“Fashion tech et mode éco-responsable ont tout intérêt à travailler main dans la main.” Tel est le constat dressé par Marina Coutelan, coordinatrice du Smart Square de Première Vision Paris, l’espace du salon dédié à la création respectueuse de l’environnement.
Par Ludmilla Intravaia
Le Boudoir Numérique : Le Smart Square de Première Vision Paris, l’espace du salon dédié à la création éco-responsable, s’est doté d’une nouveauté cette année, le Smart Materials, où les visiteurs ont pu découvrir les matériaux les plus innovants du moment. Lesquels d’entre eux ont-ils suscité le plus d’intérêt du public ?
Marina Coutelan, chef de produits mode : Un produit qui fait beaucoup parler de lui est Pinatex, une alternative naturelle au cuir, fabriquée à base de fibres de cellulose extraites de feuilles d’ananas. De même, dans le domaine du tannage des peaux en cuir, des solutions moins polluantes que le tannage au chrome par exemple, sont développées. Nous avons ainsi présenté les initiatives Deepmello et Olivenleder qui utilisent, respectivement, de la racine de rhubarbe et des feuilles d’olive comme agents de tannage. Ces produits sont particulièrement intéressants, en terme d’économie circulaire, dans le sens où ils valorisent des matériaux secondaires, qui ont déjà eu une première vie. Ainsi, la rhubarbe sert à fabriquer des pigments en cosmétique et, tout comme l’olive et l’ananas, est utilisée dans l’agro-alimentaire. Ici, les résidus d’une industrie, habituellement jetés, prennent vie pour devenir les piliers d’une autre. A noter aussi Roica de l’entreprise japonaise Asahi Kasei, la première fibre stretch biodégradable, sans rejet de matières toxiques pour l’environnement.
Autre nouveauté du Smart Square, la Smart Wardrobe qui exposait des silhouettes ou des modèles de mode éco-responsable. Quel était le but de cette présentation ?
Nous voulions montrer aux visiteurs du salon que la mode éco-responsable existe déjà en magasins et qu’elle peut vraiment donner envie. Nous avons choisi de mettre en lumière de jeunes créateurs très porteurs comme Marine Serre, chouchou de l’industrie de la mode qui pratique l’upcycling (ou surcyclage, réutilisation de matériaux usagés pour concevoir de nouveaux produits, d’une qualité supérieure, NDLR). La robe que nous avons exposée comporte une jupe de foulards chinés en magasins de seconde main à qui la créatrice a donné une nouvelle vie, de même qu’un top plus technique en polymères recyclés. On sent très bien que les designers émergeant sur le marché, les Millennials, ont grandi avec cette préoccupation pour la fabrication respectueuse et, qu’ainsi, elle est naturellement intégrée à la base de leur travail. C’est très enthousiasmant de suivre ces propositions de mode inédites, utilisant par exemple des matériaux recyclés ou des bio-polymères (issus de ressources renouvelables, notamment végétales et potentiellement biodégradables, NDLR). Nous avons également mis en évidence, entre autres, la collaboration entre la marque Adidas et Parley for the Oceans (réseau collaboratif environnemental dédié à la protection des océans, NDLR) qui a débouché sur la production de baskets et d’articles de sport en matériaux recyclés, à partir des déchets de plastique de l’océan. Quand on voit le succès implacable de cette collaboration Adidas Parley, on comprend à quel point ce type d’initiative est stimulant pour l’avenir.
Un prototype de robe en bioplastique compostable de la créatrice américaine Sylvia Heisel était, lui aussi, exposé dans la Smart Wardrobe (voir l’article du Boudoir Numérique : “Fashion Tech Compostable”). Pour vous, l’impression 3D de vêtements en matériaux biodégradables, est-elle une piste judicieuse pour le futur de la mode ?
Les bio-polymères et les matières fabriquées à partir de ressources naturelles, comme l’amidon de maïs ou l’huile de ricin, représentent une piste très intéressante faisant déjà l’objet de nombreuses recherches. Et c’est dans ce domaine-là que l’innovation va connaître ses plus grands développements dans les trois prochaines années. Les bio-polymères vont permettre de réaliser des produits aux looks très techniques correspondant bien à la tendance des tenues sport en ville, tout en étant pour la plupart biodégradables, avec un impact moindre sur l’environnement. En ce qui concerne l’impression en 3D de vêtements, ce n’est pas pour demain, elle demeure un secteur de niche. Par contre, les accessoires de mode en 3D printing biodégradables connaitront un développement beaucoup plus rapide et vont se multiplier sur le marché, dès cette année. Ainsi, je m’achèterai des boucles d’oreilles, je les porterai un ou deux ans et puis je les déposerai au fond du jardin, dans le compost, où elles disparaitront sans dommage pour l’environnement. Cela permettra de s’offrir des petits produits mode, coup de cœur, que l’on n’aura pas nécessairement envie de porter longtemps, tout en s’inscrivant dans une démarche éco-responsable.
Vous rejoignez, en quelque sorte, les propos de Sylvia Heisel qui suggérait, dans son interview sur Le Boudoir Numérique, d’imprimer de la fast fashion biodégradable…
La mode est avant tout une industrie du désir. Quand on achète un produit, quel qu’il soit, on achète un coup de cœur. Et si les entreprises éco-responsables arrivent aujourd’hui à proposer des produits aussi séduisants que des produits classiques, c’est parce qu’elles ont bien compris la nécessité d’allier la mode éco-responsable à la mode créative et innovante. L’une des manières de réussir ce challenge est de multiplier les différentes façons de consommer les produits de mode. En d’autres termes, il faut tenir compte de l’envie des consommateurs de posséder des pièces superbement conçues dans de belles matières qu’on va garder longtemps mais aussi des produits dans l’air du temps, qui vont se renouveler très rapidement dans notre garde robe. L’important est de ne pas se limiter à une seule approche.
Quelle est, selon vous, la place que pourrait tenir la fashion tech dans la mode éco-responsable ?
La fashion tech et la mode éco-responsable sont amenées à se rapprocher de plus en plus à l’avenir, parce que leurs acteurs ont dorénavant réalisé à quel point elles avaient besoin l’une de l’autre. En tant que consommatrice, je trouve extraordinaire d’avoir accès à ces produits connectés ultra-modernes. Mais que sait-on réellement de la fin de vie de toutes ces puces informatique, dans ces vêtements augmentés ? La fashion tech doit prendre en compte son impact sur l’environnement, tandis que la mode éco-responsable ne peut faire l’impasse sur l’innovation et la technologie pour passer à la vitesse supérieure. Beaucoup de passerelles naissent entre les deux secteurs. Je pense notamment à Fashion for Good (une plateforme de mode pour l’innovation éco-responsable, NDLR). De plus en plus d’incubateurs font collaborer ensemble les interlocuteurs de ces segments de l’industrie, considérés il y a encore deux ans, comme diamétralement opposés. Fashion tech et mode éco-responsable ont tout intérêt à travailler main dans la main, c’est désormais une évidence.
* Approfondissez le sujet, en lisant les articles suivants du Boudoir Numérique :
“Sylvia Heisel : pourquoi ne pas imprimer de la fast fashion biodégradable ?”