Faire pousser des racines de champignon pour fabriquer un matériau innovant plus éco-responsable, en alternative au cuir d’origine animale, telle est la mission que s’est donnée la start-up américaine MycoWorks, grâce à sa technologie brevetée Fine Mycelium. Frederick Martel, Senior Vice President Sales & Business Development chez MycoWorks en dit plus long au Boudoir Numérique sur sa technique de biofabrication, sur son matériau vegan et cruelty free Reishi et sur la matière Sylvania développée avec la maison française Hermès.
Par Ludmilla Intravaia
Le Boudoir Numérique : MycoWorks a développé sa technologie propriétaire Fine Mycelium. De quoi s’agit-il ?
Frederick Martel, Senior Vice President Sales & Business Development de MycoWorks : Nous utilisons le mycélium, l’ensemble des filaments qui poussent sous terre, les racines des champignons. Notre secret de fabrication est, en quelque sorte, de dire au mycélium : pousse comme ça, dans tel sens, en fines couches. C’est-à-dire que nous contrôlons la croissance du mycélium pour que ses filaments poussent de façon à s’entremêler entre eux, afin de former un matériau qui n’est pas à proprement du cuir de champignon.
Quelle est la différence entre votre matériau innovant Reishi, issu de la technologie Fine Mycelium et le cuir de champignon ?
Reishi vient du nom japonais d’un champignon asiatique dont nous tirons notre mycélium. Le cuir de champignon emploie également le mycélium mais ce dernier pousse sous forme de champignons, ensuite coupés en tranches qui vont être compressées, puis encollée sur un support pour les rendre résistantes car le matériau est, à la base, assez spongieux. Notre technologie ne nécessite ni compression, ni encollage car les fibres de mycélium qui se sont tissées entre elles sont naturellement résistantes pour un produit dont la performance se rapproche de celle du cuir animal.
Votre matériau Reishi est-il fabriqué en laboratoire ?
Il s’agit plutôt d’une ferme agricole, où le mycélium est récolté. Le mycélium pousse dans des plateaux à la taille standardisée de six pieds carrés, ce qui correspond dans l’industrie du cuir à une demi-peau d’animal. Dans ces plateaux, on dépose le substrat dans lequel est inoculé le champignon qui va y grandir. Tout d’abord, on le laisse faire. Puis, on y ajoute un composite, comme du coton naturel, dans lequel le mycélium va continuer à pousser, générant un seul produit aux caractéristiques techniques d’étirement, de résistance, de souplesse et d’élasticité augmentées. Les fibres de mycélium poussent entre celles du coton, avec lesquelles elles se joignent pour créer un film régulier qui est récolté, enlevé du support du substrat, avant d’être envoyé dans notre tannerie partenaire pour sa finition. Là, le Reishi peut, par exemple, être teint en noir dans la masse ou embossé pour obtenir un grain, comme celui du cuir animal. Tout ce qui est fait dans une tannerie avec le cuir animal peut être réalisé avec notre matériau, à la différence près qu’il est moins polluant.
C’est-à-dire ?
L’industrie de la tannerie du cuir animal utilise du chrome pour fixer le collagène dans la peau, dans le but de la rendre imputrescible. Ce chrome très polluant, nous n’y avons pas recours, puisque le mycélium est végétal. Par ailleurs, le mycélium a la caractéristique d’être un fixateur de CO2, dans le sens où il capture le dioxyde de carbone dans l’air pour pousser, tout en tirant la nourriture et l’eau dont il a besoin du substrat composé de copeaux de bois, résidus recyclés de l’industrie du bois. Ainsi, notre procédé est peu demandeur en énergie et eau, il a un impact carbone minimal, bref, il est éco-responsable.
Sur certains cuirs vegan, on rajoute une couche de plastique pour les rendre plus solides. Est-ce le cas de votre matériau ?
Non. L’idée, c’est d’apporter la solution la plus sustainable possible. Nous travaillons majoritairement avec des composants naturels pour les pigments, les huiles qui vont donner à notre produit la finition spécifiquement souhaitée par chaque client, en affinant ses caractéristiques techniques en termes de résistance, de couleurs, etc. Qu’une marque partenaire recherche une matière plus dure, plus souple, etc., nous customisons notre matériau, selon ses désidératas et nous pouvons le reproduire à l’infini avec les mêmes qualités. C’est presque de la haute couture de matières.
Outre le fait d’être éco-responsable, votre alter-cuir de mycélium est également vegan et cruelty free…
Absolument. Car nous sommes 100% végétal. Nous sommes une alternative au cuir animal avec les mêmes compétences et similitudes que lui. Elever un animal pour sa peau prend au moins deux ans avec un impact carbone et une consommation d’eau colossaux, sans compter les problèmes de traçabilité sur la provenance des animaux et la manière dont ils ont été traités dans les élevages. En comparaison, notre mycélium met un peu moins de six semaines à pousser, sans avoir à exploiter un animal. De plus, il n’y a pas deux peaux identiques. Un animal peut avoir des marques sur la peau, ce qui entrainera des pertes dans la découpe des pièces. Nos panneaux de mycélium sont réguliers, ce qui limite considérablement les chutes de matériaux et les déchets non réutilisables.
Le 11 mars dernier, la maison française Hermès a dévoilé un sac Victoria fabriqué, en partie, avec une nouvelle matière vegan, développée grâce à votre technologie Fine Mycelium (plus d’infos ici). Ce matériau est-il différent du Reishi ?
Oui, cette matière que nous avons développée pendant plus de quatre ans avec Hermès est appelée Sylvania. Nous faisons pousser le mycélium mais, contrairement au Reishi, nous ne le tannons pas nous-mêmes. Hermès s’en charge dans ses tanneries haut de gamme. Les matières Reishi et Sylvania bénéficient donc de la même technologie Fine Mycelium. Toutes deux sont du mycélium mais la finition est différente : réalisée dans les ateliers Hermès pour Sylvania, livrée et utilisable telle quelle pour Reishi.
Votre technologie relève-t-elle de la biofabrication (plus d’infos ici), la fabrication à partir du vivant ?
Oui, nous utilisons le vivant, le mycélium dont notre cofondateur (l’artiste basé à San Francisco Philip Ross, NDLR) a compris les propriétés incroyables, il y a presque trente ans. Lorsqu’il exposait ses sculptures en mycélium à travers le monde, des entreprises lui demandaient souvent si des applications à leur industrie étaient envisageables. C’est ainsi qu’est née la start-up MycoWorks, il y a plus de sept ans, pour pousser plus loin ses recherches et trouver de nouvelles solutions comme Reishi. Nous assistons, aujourd’hui, à un changement radical des pensées. Les clients finaux demandent aux marques des produits plus respectueux de l’environnement et des êtres sensibles. Les marques ne peuvent plus se voiler la face et doivent trouver des solutions. Nous sommes là pour leur proposer une véritable alternative, responsable et performante.
* Le Boudoir Numérique a rencontré Frederick Martel, le 16 juin 2021, lors de l'événement des start-up et de la tech Viva technology, à Paris. MycoWorks faisait partie des 28 start-up finalistes du prix LVMH dédié à l’innovation, décerné par le groupe de luxe français au salon VivaTech. Cette cinquième édition de VivaTech s’est déroulée du 16 au 19 juin 2021, à Expo Porte de Versailles et en ligne. L’article récapitulatif de la visite du Boudoir Numérique à Vivatech est accessible ici. Plus d'infos sur le site de VivaTech ici.
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