Porter un perfecto, sans faire de mal aux êtres sensibles et à la planète, c’est possible avec Poétique Paris qui revisite les pièces iconiques du dressing féminin en alter-cuir 100 % vegan et cruelty free. Interview de la cofondatrice de cette marque française, Pauline Weinmann.
Par Ludmilla Intravaia
Le Boudoir Numérique : Sur votre site internet, vous évoquez votre conception de la mode du futur, en expliquant qu’il ne s’agit pas “de mettre une télécommande à drones dans vos manches, mais de proposer de jolies pièces alternatives au cuir”. Que voulez-vous dire par là ?
Pauline Weinmann, cofondatrice de Poétique Paris : Lors de la création de notre marque, il y a un an et demi, nous sommes parties du constat que l’industrie de la mode, et en particulier celle du cuir, est polluante et cruelle et que la mode du futur, c’est en premier lieu vouloir faire mieux, d’une façon plus respectueuse des êtres humains, des animaux et de la planète. Travailler ainsi, en soi, c’est déjà une innovation. Mais pour nous, ça va plus loin, puisque notre challenge cruelty free et eco-responsable a été de remplacer le cuir d’origine animale par de nouvelles matières innovantes, incorporant du végétal éco-sourcé et recyclé. Beaucoup d’alternatives aux peaux animales existent comme le Piñatex (matériau à base de fibres cellulaires extraites de feuilles d’ananas, NDLR), le cuir de vin, le cuir de liège ou encore celles que nous privilégions pour nos collections, à savoir l’appleskin, un cuir de pomme issu d'usines de jus de fruits et l’alter-cuir de céréales, recyclant des déchets céréaliers, tous deux en provenance d’Italie. Et globalement, au-delà des alter-cuirs, nos tissus et fournitures sont à 100 % recyclés.
Qu’en est-il des conditions de fabrication de vos vêtements ?
Elles se doivent également d’être respectueuses. Nous valorisons le savoir-faire local avec une confection made in France, dans deux ateliers éthiques et solidaires. Notre atelier en Île-de-France s’inscrit dans une démarche responsable, via l'upcycling de tissus, la récupération de machines et le respect de conditions de travail décentes. Notre atelier de Calais vise à réinsérer les femmes dans le monde du travail, par la revalorisation de compétences professionnelles, liées au textile et à la couture.
Vous revisitez des pièces iconiques de la garde-robe, sans utiliser de matières d’origine animale. Pourquoi avoir choisi cette voie cruelty free, 100% vegan ?
On veut faire de beaux vêtements et proposer des pièces fortes du dressing féminin, comme un modèle de type perfecto en cuir, par exemple, sans avoir à rougir de la souffrance abominable qui se cache derrière, pour tous les êtres sensibles de la planète. Par exemple, la majorité des peaux sont aujourd’hui tannées dans des pays en voie de développement et principalement au Bengladesh, où le chrome VI, un agent de tannage hautement toxique, est manipulé sans protection et rejeté directement dans les nappes phréatiques, réduisant drastiquement l’espérance de vie des populations.
En matière de protection animale, vous bénéficiez du label PETA - approved Vegan de cette association de défense des droits des animaux…
Tout à fait. Ce label aide les consommateurs à identifier les marques éthiques qui ne soutiennent pas l'exploitation des animaux (plus d’infos ici, sur le site de PETA France, NDLR). Les consciences se réveillent sur la maltraitance animale générée par le commerce du cuir. Il y a vraiment un manque de transparence sur cette matière, sur sa provenance, sa traçabilité et le grand public s’en rend compte de plus en plus. PETA relève notamment que la majorité du cuir produit dans le monde provient de Chine, où, outre les vaches, moutons et autres animaux, des chats et chiens sont tués pour leurs peaux, dans des conditions extrêmement cruelles (pour plus d’infos, lire cette analyse de l’industrie du cuir sur le site de PETA France, NDLR). La manière de consommer la mode change car les gens sont de plus en plus demandeurs de produits éco-responsables et respectueux des êtres sensibles. Ça a commencé dans l'alimentaire, les cosmétiques. Et on y vient dans la mode. C’est pourquoi nos produits répondent à un réel besoin des consommateurs.
Justement, même s’il se sent concerné par la problématique du cuir, le consommateur s’égare parfois entre les différentes appellations, telles que cuir végétal, cuir vegan, etc. De votre côté, vous parlez d’alter-cuir… Pouvez-vous nous éclairer sur ce sujet ?
Le cuir végétal est une peau animale, tannée végétalement (avec des agents végétaux, écorces, bois, racines, feuilles, fruits, NDLR), sans produits chimiques, comme le chrome, par exemple. C’est plus respectueux pour l’environnement mais ça reste du cuir d’origine animale. Le terme cuir vegan est souvent utilisé dans les médias pour définir les cuirs non issus de l’exploitation animale. Mais le cuir étant une appellation contrôlée ne pouvant s’appliquer qu’à des peaux animales, ce terme ne nous semblait pas approprié, d’autant plus qu’il ne garantit pas nécessairement le caractère responsable des matières, comme le similicuir ou du skaï (cuirs artificiels obtenus en enduisant une surface textile d’une couche de plastique, NDLR). Nous avons donc eu envie de trouver un nouveau mot. Nous avons jeté notre dévolu sur le terme alter-cuir, qui nous correspond bien car nous voulons bouleverser, d’une façon disruptive, l’industrie du cuir par une alternative respectueuse et innovante.
Quelle est la part de l’innovation dans votre travail ?
Nous aidons nos fournisseurs à développer des matières qui satisfont nos besoins, afin de créer des produits désirables pour nos clients. Quand nous avons lancé Poétique Paris, nous avons fait une étude de marché des matières disponibles, notamment pour un modèle de type Perfecto, notre blouson “biker”, pour lequel l’alter-cuir, à base de céréales, utilisé dans le reste de la collection, ne convenait pas. Pour le confectionner, nous avons donc opté pour des chutes de rouleaux de cuir vegan, sans matière animale, certes mais qui demeurait synthétique, du plastique. Le biker ayant été un succès, nous nous sommes dit qu’il fallait qu’on arrive à travailler avec une base végétale, recyclée pour nos prochains réassorts de cette pièce. Nous nous sommes attelées à la tâche, en collaboration avec notre fournisseur qui a réussi à créer une nouvelle matière, développée sur base de celle aux céréales utilisée pour nos shorts et jupes, mais adaptées aux spécificités du biker. Concevoir des alternatives au cuir aujourd'hui est un travail de longue haleine qui relève d’un véritable challenge, ne fut-ce que parce que les attentes des consommateurs sont très fortes.
Des attentes, en termes de rendu de la matière, par exemple ?
Avec un blouson de type perfecto, on s’attend à une certaine souplesse, une certaine tenue, bref une sensation au touché ou une apparence spécifiques, auxquelles nous sommes habitués. Dans l’acte d’achat, les gens sont moins perdus, si on leur propose un produit qui ressemble à ce qu’ils connaissent déjà. Je ne doute pas qu’un jour les alternatives au cuir auront leur propre toucher, leurs propres caractéristiques mais pour l’instant, on n’y est pas encore. C’est pourquoi, dans la mode, les nouvelles matières de remplacement du cuir cherchent encore à l’imiter. C'est un peu différent avec les accessoires, par exemple les chaussures, où l’on peut s’amuser un petit peu plus avec les matières. Mais avec un blouson biker, il faut qu'on puisse plier les coudes... On n’a pas le choix.
Est-ce la raison pour laquelle les matières végétales, alternatives au cuir, sont encore enduites de plastique notamment ?
Oui, ces matières sont en partie végétales, en partie synthétiques, pour s’approcher au plus près des propriétés du cuir traditionnel. Mais évidemment, on travaille tous les jours à augmenter la part des matières les plus responsables, végétales et recyclées. Ainsi, notre dernière pièce de pantalon est à 60% recyclée, avec un enduit résine à base d'eau, sans solvant. Avant, on était solvant bas, maintenant on est solvant free. Même si le 100% green n’existe pas encore, petit à petit, chaque innovation est une occasion de s’améliorer.
Comment voyez-vous l’avenir de votre marque ?
A terme, nous allons nous impliquer plus dans la recherche et le développement de nouvelles matières, tout en continuant à informer le public sur l’éco-responsabilité. Notre but est de nous ouvrir au plus grand nombre, pour qu’une cliente qui ne jure que par le cuir d’origine animale soit surprise par nos alter-cuirs et séduite par nos modèles. Ce que nous voulons, c’est faire une mode belle et responsable, et embarquer nos clientes, avec nous, dans ce voyage.
* Le site internet de Poétique Paris est ici.
* Le Boudoir Numérique a rencontré Pauline Weinmann, à l’occasion de la première édition de l’événement Impact, consacré à la mode éco-responsable du salon parisien Who’s Next. La prochaine édition d’Impact aura lieu du 17 au 20 janvier 2020, au Parc des expositions de la Porte de Versailles, à Paris. Le site internet de Who’s Next est ici.
* Pour en savoir plus sur Impact, lisez l’interview de Frédéric Maus, le directeur général de WSN, la société organisatrice de l’événement, qui dresse le bilan de cette première édition, dans cet article du Boudoir Numérique : “Le digital collaboratif peut aider la mode durable”.