Doter une imprimante 3D d’un tattoo gun pour la transformer en machine à tatouer, tel est le pari du collectif de designers français, Appropriate Audiences. Son cofondateur, Pierre Emm, en dit plus au Boudoir numérique sur cette "3D Printer X Tattoo Machine", la "première machine à tatouer automatisée au monde", avant sa présentation au public, à l’occasion de la seconde édition du salon Maker Faire, en mai prochain, à Paris.
Le boudoir numérique : La 3D Printer X Tattoo Machine, qu’est-ce que c’est ?
Pierre Emm, cofondateur d’Appropriate Audiences : C’est une imprimante 3D que nous avons dotée d’un dermographe, un tattoo gun, destiné à réaliser des tatouages. Telle a été la première étape de notre travail. La seconde étape fut de redécouvrir que la surface de la peau n’était pas plane, état de fait que nous connaissions évidemment, mais que l’élaboration de notre machine nous a permis de constater à nouveau. Certaines cultures, dans le monde, ont bien compris cette importance du volume, elles qui associent le tatouage, non pas seulement au dessin, comme en France, par exemple, mais aussi à la sculpture. Le relief de la peau se doit ainsi d’être pris en compte, ce qui est dorénavant mission accomplie grâce à un palpeur optique de notre invention.
Il s’agit donc là d’insérer de l’encre sous la peau, au moyen d’une aiguille, comme c’est le cas dans le tatouage ?
C’est vraiment du tatouage, avec de l’encre indélébile qui perdurera dans le temps. Nous avons, d’ailleurs, voulu tatouer de la peau au plus vite. Pas question d’être dans une promesse qui ne se réalise jamais. Il y a quelques semaines, nous avons piqué le tibia de Piotr (Widelka, l’un des membres du collectif Appropriate Audiences, avec Pierre Emm et Johan Da Silveira, NDLR). Il est particulièrement important de nous confronter à la réalité et à ses contraintes.
Votre machine à tatouer est-elle destinée à être utilisée dans les salons de tatouage ?
Oui, pour nous, la 3D Printer X Tattoo Machine est un nouvel outil pour les tatoueurs, avec lesquels nous avons beaucoup de contacts. Nous aimerions, modestement, nous inscrire dans l’histoire du tatouage qui nous passionne. Si, dans quelque temps, notre machine pouvait trouver sa place, dans les salons professionnels de tatouage, à côté des dermographes électriques et des aiguilles de hand-poke, ce serait extraordinaire. Nous souhaitons vraiment que les tatoueurs s’emparent de notre machine. C’est la raison pour laquelle nous voulons organiser des workshops, le plus rapidement possible, afin d’échanger avec eux, tout en leur prodiguant des conseils techniques. Fin 2015, nous prévoyons de commencer à faire nos premiers salons professionnels pour une mise sur le marché de la machine à tatouer en 2016.
Quels seraient les avantages de cette machine pour un tatoueur ?
Il ne s’agit pas de refaire ce que sait très bien réaliser un tatoueur. Notre machine, prévue pour compléter les pratiques existantes et non pas les remplacer, offre d’énormes possibilités, dans le sens où une imprimante peut être nourrie de tas d’informations, des dessins scannés, des motifs générés par du code, imaginés à partir de sons…, tout est à inventer, sans compter l’apport des applications utilisées sur les tablettes, par exemple. Aujourd’hui, beaucoup de tatoueurs reproduisent des dessins d’enfants. On pourrait notamment envisager qu’un gamin dessine directement sur sa tablette le motif que la machine tatouera, dans la foulée, sur le bras de son père ou de sa mère. Nous souhaitons travailler avec des applications et des logiciels qui n’exigent pas de vastes connaissances informatiques de l’utilisateur et cela, pour laisser la plus grande place possible à la créativité.
La précision de votre palpeur optique pourrait-elle permettre d’imprimer du maquillage sur le visage, en une sorte de maquillage permanent ?
Absolument. Pour peu que l’on tienne compte du fait que certaines zones sensibles du corps doivent être traitées avec des égards particuliers, travailler le visage est tout à fait possible, d’autant plus qu’améliorer la précision de notre senseur demeure une de nos préoccupations principales. Si nous prenons le cas d’un sourcil à tatouer, nous pourrions élaborer une simulation sur ordinateur du maquillage à réaliser et le transférer, avec une grande rigueur, sur le visage.
Avez-vous déjà caressé la possibilité d’utiliser votre machine pour du makeup éphémère, en remplaçant, pourquoi pas, votre tattoo gun par un aérographe de maquillage ?
Depuis quelques années, l’aérographe, permettant d’unifier le maquillage, a fait un retour en force dans les magazines. Il serait tout à fait envisageable de balayer le visage de couleurs avec notre machine et de la développer à l’usage des maquilleurs, même si, pour le moment, notre démarche ne s’inscrit pas dans le temporaire. Nous travaillons plutôt sur le tatouage permanent, car ce geste de piquer la peau avec de l’encre indélébile, questionne l’acte relationnel du tatouage, le ressenti et l’émotion liés à cette pratique, toutes ces histoires singulières et les rencontres derrière chaque tattoo. Au-delà même de la prouesse technologique de notre machine, la réflexion sur le tatouage se révèle également sociologique et anthropologique, comme on peut le découvrir dans le livre de portraits de personnes encrées d’Elise Müller ("Une anthropologie du tatouage contemporain, parcours de porteurs d’encres", 2013, aux éditions L’Harmattan, NDLR) ou dans le documentaire de Pascal Bagot, "La voie de l’encre" (sur le tatouage traditionnel japonais Irezumi, 2011, chez Lardux Films, NDLR).
Etes-vous disposés à collaborer avec des marques de beauté, à l’avenir ?
Tout à fait. Plus nous rencontrons des professionnels, comme ce fut le cas, il y a peu, avec un intervenant de L’Oréal, entreprise qui travaille notamment sur la peau artificielle, plus nous nous rendons compte à quel point ils sont ouverts à l’idée d’aborder les choses sous des angles différents. Nous sommes sensibles à cette porosité actuelle entre des domaines, à première vue, éloignés. 3D Printer X Tattoo Machine, le nom de notre invention, représente bien cette tendance au rapprochement entre outils et scènes dissemblables. C’est une sorte de chimère fantastique, rassemblant deux éléments, l’impression 3D et le tatouage, pour n’en faire qu’un, la première machine à tatouer automatisée au monde. Dans ce contexte, en effet, le maquillage, à l'instar des contacts avec les makeup artists et le monde de la beauté font partie de notre réflexion sur l’usage que nous pourrions faire de notre machine, même si, pour l’instant, le tatouage demeure notre priorité.
* Site internet de la 3D Printer X Tattoo Machine : www.appropriateaudiences.net
* La 3D Printer X Tattoo Machine sera présentée au public, à l’occasion de la deuxième édition du salon Maker Faire Paris, dans le cadre de la Foire de Paris, au Paris Expo Porte de Versailles, du samedi 2 au dimanche 3 mai 2015 : www.makerfaireparis.com
Poursuivez cette réflexion sur la beauté connectée et high-tech avec cet article du magazine Victoire sur "L'esthétique du futur" by Le boudoir numérique.
Ludmilla Intravaia