En quête de trouvailles fashion tech, Le Boudoir Numérique a arpenté les travées de l’espace mode durable du sommet Change Now dédié aux solutions pour la transition écologique qui se déroulait à Paris, cette semaine. Bingo, derrière un stand où trônent leurs trophées en innovation et quelques bobines de fils, Cédric Vanhoeck, fondateur de la startup belge Resortecs et William Allouche, son technology manager expliquent aux visiteurs comment leur nouveau fil de couture se désagrège à haute température, permettant le désassemblage des différentes pièces d’un vêtement pour un meilleur recyclage des matières.
Par Ludmilla Intravaia
Le Boudoir Numérique : Resortecs, c’est quoi ?
William Allouche, technology manager chez Resortecs : Nous sommes une startup qui vise à faciliter le démontage des produits textiles pour favoriser le recyclage et les opérations de réutilisation. Nous vendons aux marques et aux fabricants de vêtements un fil de couture thermofusible qui fond à haute température. Ces marques vont fabriquer un vêtement comme elles le font d'habitude, il va être porté normalement, sauf qu’en fin de vie du vêtement, quand il doit être recyclé, on peut le récupérer, le mettre dans notre ligne de désassemblage continu et automatisé, dont il ressort complètement démonté. Les zippers et les boutons sont enlevés des parties textiles, le polyester et le coton d’un même produit sont séparés, on peut les trier et les envoyer aux recycleurs spécifiques. Aujourd'hui, pour séparer manuellement les boutons et les zippers d’un tissu, ça coute cher et ça prend du temps, donc personne ne le fait. C’est sur ce goulot d’étranglement que nous travaillons.
Comment développez-vous votre activité pour l’instant ?
Nous souhaitons d’abord nous focaliser sur les invendus des marques. Ne nous mentons pas, aujourd’hui, les invendus sont majoritairement détruits. Or, la matière de ces produits dont personne ne veut est encore de très bonne qualité. C’est ce gisement de matériaux vierges que nous voulons sauver. Dans un premier temps, nous allons collaborer avec des marques, dont nous récupérerons les invendus pour les démonter, les recycler ou les utiliser tels quels par upcycling.
Et pour les vêtements portés par les consommateurs, qu’avez-vous prévu ?
En ce qui concerne les déchets post consommation, nous avons l’intention de créer, dans les cinq prochaines années, un consortium, composé d’un trieur de déchets, d’une entreprise développant des outils de traçabilité comme, par exemple, des puces RFID qui peuvent contenir des informations et une marque de mode pour générer une solution de circularité. Une fois utilisé, le vêtement de cette marque, cousu avec notre fil et muni d’un traceur de notre partenaire, sera déposé par le consommateur dans une benne de notre trieur partenaire qui le reconnaitra comme utilisant notre fil. A ce moment-là, plusieurs acteurs seront capables de démonter et recycler un vêtement, d’une manière circulaire.
Le futur, en somme, c’est de l’éco-design, allié à des structures collaboratives gérant le vêtement de sa conception à sa fin de vie ?
Oui, c’est notre motto : design for disassembly, la conception pour le démontage. Un gros problème dans l'industrie textile aujourd'hui, c'est de retracer le parcours du vêtement. Comment obtenir des informations sur une robe qu’on retrouve dans une benne, après deux ans d'utilisation ? Ne fut-ce que connaitre les matières qui la composent, c’est déjà difficile. C’est pourquoi nous voulons travailler avec des startups qui développent des solutions de traçabilité dans la fibre en elle-même ou dans les étiquettes à puces des vêtements. Mais à un certain moment, il faudra qu’il y ait une réelle volonté politique de pousser les marques à mettre en place un passeport électronique du vêtement, sans quoi retracer son parcours sera vraiment difficile.
Avez-vous bon espoir, en cette matière ?
Tout à fait. L’émergence de nombreux mouvements sociétaux et politiques préoccupés par l’impact de l’activité humaine sur l’environnement montrent à quel point les gens en ont marre du gaspillage et de la destruction de choses qui n’ont même pas été utilisées. On le voit, par exemple, en France avec les mesures prises par le sénat, l'année dernière (notamment l’interdiction d’ici deux à quatre ans de la destruction des invendus non alimentaires, dont le textile et les produits de beauté qui devront désormais être donnés ou recyclés, NDLR). En Belgique et aux Pays Bas, dans toute l’Europe du Nord en fait, des innovateurs avant-gardistes font bouger les choses. Des associations comme la fondation Ellen MacArthur génèrent une grande quantité de connaissances et éduquent les acteurs concernés sur la traçabilité et l’économie circulaire. Nous-mêmes avons gagné des prix, tels le Global Change Award de H&M Foundation, en 2018 et, en décembre dernier, le Radicale Vernieuwer du magazine belge De Standaard qui récompense les startups pionnières dans leur domaine. Ce genre de prix nous boostent d’un point de vue financier et nous permettent de développer nos activités. Nous sentons que nous sommes arrivés au bon moment pour opérer un changement significatif. J’ai bon espoir que, dans une dizaine d’années, le monde aura fait d’immenses progrès en termes d’éco-responsabilité.
* Pour en savoir sur Resortecs et voir le fil de couture en action, regardez la vidéo ci-dessous.
* Le site internet de Resortecs est ici.
* Le sommet Change Now, l’exposition des solutions pour la planète, s’est déroulé du 31 janvier au 1er février 2020, au Grand Palais, à Paris. Le site internet est là.