Data scientist, algorithme, computer vision… Et si on parlait intelligence artificielle ?
4/4 – Continuons à explorer l’univers de l’intelligence artificielle, dans cette dernière partie de l’interview de Romain Chaumais, executive leader de l’entreprise française Fashion Data, spécialisée dans l’IA appliquée à la mode.
Par Ludmilla Intravaia
Le Boudoir Numérique : Dans le volet précédent de notre entretien (lire ici), vous compariez l’intelligence artificielle à un “immense cerveau”, un cerveau qui, en quelque sorte, reproduirait des processus cognitifs humains ?
Romain Chaumais, executive leader de Fashion Data : Oui, qui les mime et les automatise. Mais ça n’a rien à voir avec l’intelligence des robots comme on les voit dans les films de science-fiction et qui relèvent du phantasme. Ca n’a rien de magique. Ces programmes informatiques sont juste des systèmes auto-apprenants, des techniques mathématiques, capables de faire du prédictif, de classifier, de simplifier, de combiner, d'interpréter et de comprendre d’immenses quantités d'informations. C'est une intelligence spécialisée, comme une énorme feuille de calcul Excel. Aujourd'hui, on n'imagine plus ne pas utiliser Excel, quand on a un calcul compliqué à faire, avec beaucoup d'infos. L'IA, c'est l'étape d'après. On a eu le boulier, la calculatrice, la feuille Excel. Aujourd'hui, on a l'intelligence artificielle.
Vous dites que l’IA est auto-apprenante. Qu’est-ce que ça signifie ?
Les programmes d'intelligence artificielle, les algorithmes, sont des programmes où on ne dit pas à la machine ce qu'il faut faire, parce que justement ce que l’on veut, c'est lui laisser la possibilité de comprendre ce qu'elle doit faire, par elle-même. On va programmer l'intelligence artificielle pour qu'elle soit spécialisée dans un type d'apprentissage, on va programmer sa façon d'apprendre. Avec un programme traditionnel, on dit à l’ordinateur quoi faire, en fonction des informations qu'il reçoit. Excel, par exemple, est un programme qui fait du calcul, en fonction des données entrées. En ce sens, Excel a un simple exécutant. Le data scientist, lui, enseigne à l’ordinateur comment apprendre pour ensuite, exécuter.
Quelle est la différence entre un data scientist et un data analyst ?
Le data analyst analyse ce qui se passe. Le data scientist construit les programmes, crée les modèles algorithmiques qui font que la machine va apprendre à analyser ce qui se passe. Les deux approches sont ultra-complémentaires dans une équipe de travail. La puissance d’une solution réside dans la combinaison de l’intelligence humaine du data analyst et de l’algorithme informatique du data scientist. D’une manière plus générale, les recherches le prouvent, le binôme homme – machine est toujours plus performant que l’un ou l’autre, pris séparément.
Que voulez-vous dire par là ?
Imaginons un avion avec un pilote humain et un pilote automatique. Vous ne monteriez jamais dans un avion sans pilote. Et vous préférez prendre un avion, où en plus du pilote, un autopilote contrôle l’engin, sans requérir l’intervention constante de l’humain. Le pilote n'est pas là pour regarder l'altitude et la température toutes les secondes, ce n’est pas son rôle. Il va, par contre, entendre les alertes ou les recommandations faites par l'autopilote et agir en conséquence. Ce cas de figure illustre parfaitement cette symbiose homme-machine, chacun avec sa force et ses atouts, la spécialité cognitive du sachant humain et la capacité informatique de calcul de masse de l’algorithme auto-apprenant. Et cela, dans le but de détecter et de comprendre les phénomènes importants, les phénomènes mineurs et autres aberrations éventuelles, en éliminant les risques et les erreurs d'interprétation.
L’efficacité de cette collaboration homme-machine vaut-elle également pour les acteurs de la mode, chaque jour un peu plus perdus, sous l’avalanche de données ?
Je ne dirais pas que les acteurs de la mode sont perdus. Plutôt qu’ils sont noyés sous les infos, dans lesquelles l’intelligence artificielle va les aider à faire le tri. Et en effet, la symbiose homme-machine a son rôle à jouer en ce domaine, ne fût-ce que dans la prévision de tendances. D’un côté, on a tous ces professionnels de la mode qui vont assister aux défilés et synthétisent leurs observations dans des cahiers de tendances, par exemple. Leur viennent en aide les data scientists qui créent des algorithmes, afin de leur fournir une autre information sur les tendances, basée uniquement cette fois sur la donnée, principalement sur les réseaux sociaux.
Humer l’air du temps et les tendances intuitivement ne suffit plus ?
L’interprétation humaine demeure très précieuse et garde sa valeur, évidemment. Mais elle peut dorénavant s’appuyer sur l’intelligence artificielle. Dans cette sous-catégorie de l’IA qu’est la computer vision, la machine regarde la récurrence visuelle de certains éléments dans les images d’Instagram, de Pinterest, des sites internet de la concurrence, etc. et détermine les tendances, ce coup-ci, non pas en analysant 25 défilés de mode mais en analysant 25 millions d'images sur le web. L’humain n’étant pas capable de le faire, c’est la machine qui, tout simplement, prend le relais. Nul doute que cette collaboration fructueuse entre intelligence humaine et intelligence artificielle, au service de la meilleure prise de décision possible, aura un rôle déterminant à jouer dans l’éco-rentabilité des entreprises de mode à l’avenir.
* Retrouvez les trois premières parties de l’interview de Romain Chaumais sur Le Boudoir Numérique :
- "L’intelligence de la donnée au service de l’éco-rentabilité de la mode"
- “Le big data permet le pilotage intelligent de la chaîne d’approvisionnement du magasin de mode”
- Big data, machine learning, reconnaissance visuelle… Et si on parlait intelligence artificielle ?
* Le site internet de Fashion Data est ici.
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