Sillages Paris fait appel à l’intelligence artificielle pour la création en ligne de parfums personnalisés, à l’aide d’un algorithme. Le Boudoir Numérique a rencontré son fondateur Maxime Garcia-Janin pour en savoir plus sur la démarche digitale de cette marque de parfumerie, désireuse de “faire revivre le savoir-faire de la parfumerie française pour la faire entrer dans le 21e siècle”.
Par Ludmilla Intravaia
Le Boudoir numérique : Créer son parfum personnalisé online, à l’aide d’un algorithme, tel est le service proposé par Sillages Paris. Pourquoi avoir choisi ce concept pour lancer votre marque de parfum, en 2017 ?
Maxime Garcia-Janin, fondateur de Sillages Paris : Quand j’ai commencé à travailler dans le monde de la parfumerie, j’ai eu l’occasion de découvrir le laboratoire de la maison Dior, sa vue sur Paris, ses fioles multicolores traversées par les rayons du soleil et évidemment, ses fragrances fantastiques se mariant dans l’air… Ebloui, je me suis dit : C’est ça, le savoir-faire à la française. Pourquoi ne le met-on pas plus en valeur, en le partageant avec le client, plutôt que de mettre l’accent sur des publicités avec de fades égéries hollywoodiennes ? C’est ainsi qu’est née la marque Sillages Paris, il y a seize mois, d’une volonté de créer des produits luxueux, selon les goûts de chacun, à prix abordables. Grâce au digital, nous nous voulons une marque de haute parfumerie accessible à tout le monde, une troisième voie entre la parfumerie mainstream aux odeurs standardisées et celle de niche qui peut parfois paraître snob et peu démocratique, en termes de prix.
Comment acquérir un parfum Sillages Paris ?
Vous vous rendez sur notre site internet pour composer votre fragrance en ligne, à partir d’une palette de 64 ingrédients. Le parfum est livré chez vous, trois jours plus tard, sous forme d’un flacon et de trois échantillons. Le premier échantillon est celui de votre parfum idéal, les deux autres étant des alternatives, par exemple plus florale ou plus boisée, adaptées de votre formule, qui pourraient aussi vous séduire. Pendant 14 jours, vous testez les échantillons chez vous. Si le premier échantillon vous plait, vous ouvrez le flacon. Si pas, vous le renvoyez gratuitement, contre remboursement. Si l’une des alternatives vous plait, vous pouvez la commander. Depuis le 5 mai dernier, nous avons également ouvert un showroom, à Paris, rue de Charonne, afin d’accueillir nos clients, désireux d’être initiés aux secrets de la parfumerie. Ils peuvent ainsi élaborer leur fragrance, grâce à une orgue à parfums et une tablette, en présence d’un expert qui va les aider à appréhender, par eux-mêmes, les senteurs qui leur plaisent le plus.
Maxime Garcia-Janin, fondateur de Sillages Paris, dans le showroom de la marque, 5 rue de Charonne, le 23 mai 2019, à Paris
Vous faites appel à l’intelligence artificielle. Comment fonctionne votre algorithme ?
Sur le site internet, vous avez sélectionné, en fonction de vos goûts, trois à six ingrédients, parmi 64 au total. Ces ingrédients composent l’accord central de votre parfum, sa colonne vertébrale, en quelque sorte. Notre algorithme est constamment nourri par des centaines de combinaisons différentes, créées par nos quatre parfumeurs maison. Parmi ces combinaisons préexistantes, l’algorithme vous oriente sur votre formule parfaite, de manière à ce que votre accord principal demeure harmonieux, sans dissonances olfactives. Par exemple, si vous avez choisi la rose, l’algorithme vous proposera des combinaisons avec d’autres ingrédients adaptés, tout en évitant des mélanges qui n’iraient pas ensemble. Cette formule est ensuite complétée et finalisée par nos nez avec des ingrédients secondaires, pour s’assurer que la pyramide olfactive, avec ses notes de tête, de cœur et de fond, soit respectée pour un résultat créatif et totalement personnalisé. Notre algorithme est tellement puissant que seulement 3% de nos clients demandent un remboursement. De la haute parfumerie 3.0, en somme.
Pourquoi 3.0 ?
En raison de notre volonté de digitaliser le parfum. Cela se fait de plus en plus dans le maquillage, le soin, la joaillerie, la cuisine ou encore le tourisme et nous nous sommes dit : Pourquoi pas dans le parfum ? Nous sommes la première marque de parfumerie française à s’être lancée uniquement en ligne. Aussi fou que cela puisse paraître, en 2017, cela n’existait pas sur le marché français. Evidemment, aujourd’hui, toutes les marques de parfums traditionnelles ont une boutique online mais elles sont aussi présentes en points de vente. Nous, nous sommes vendus uniquement en ligne. Nous n’avons pas de dépenses de publicité, pas de boutiques flamboyantes dans les plus belles avenues du monde, pas d’égéries avec des contrats à des millions de dollars, pas de marges exorbitantes à verser à des distributeurs intermédiaires. Cet argent va dans nos parfums, formulés avec les matières premières les plus nobles, autant que faire se peut naturelles, et vendus à un prix juste. Autre aspect 3.0, c’est l’intelligence artificielle, notre algorithme, trait d’union entre le parfumeur et le client. C’est comme si, à la maison, vous aviez un ami parfumeur qui vous conseille et met à votre service ses compétences acquises de longue date. Par cette démarche digitale, nous faisons revivre le savoir-faire de la parfumerie française pour la faire entrer dans le 21e siècle.
Orgue à parfums de Sillages Paris, dans le showroom de la marque, à Paris
La parfumerie est-elle un retard sur son temps ?
La façon dont on consomme les parfums n’a pas changé depuis 50 ans. On voit, à la télé, une pub avec une star vantant les mérites d’un parfum, puis on l’achète en boutique. Mais regardez le monde autour de vous, il change, il va vite, le digital a tout révolutionné avec la personnalisation, les recommandations en fonction de vos goûts, le e-commerce, les réseaux sociaux. Autant d’évolutions qui n’ont pas été embrassées par les marques de parfums, restées dans un modèle traditionnel. Je vois le digital comme une opportunité de répondre au désamour du public pour le parfum, marché en décroissance constante, depuis plusieurs années, en Europe et aux Etats-Unis.
Pourquoi cette baisse d’intérêt ?
Une partie des consommateurs ne se reconnaît plus dans l’offre actuelle, notamment ceux de ma génération, les millenials de moins de 35 ans qui en ont marre des parfums trop chers et standardisés, portés par tout le monde. Il faut savoir que le top 20 des grands parfums est porté par 25 % des clients. Quand votre parfum est un best seller, il y a de fortes chances que vous croisiez, dans la journée, quelqu’un qui arbore la même fragrance que vous. C’est frustrant. Alors qu’il n’y a jamais eu autant de parfums lancés sur un marché en saturation, ils se ressemblent tous et sont de moins en moins qualitatifs car l’argent n’est pas investi dans les ingrédients en eux-mêmes mais dans le marketing et le retail. De nos jours, les gens ont envie d’acheter des produits de qualité, sans être forcément hors de prix, de savoir dans quoi ils mettent leur argent et d'acquérir un parfum singulier qui leur ressemble.
Vous sentez-vous concerné par la problématique du véganisme (mode de vie consistant à ne pas consommer de produits issus des animaux et de leur exploitation) ?
Oui, nos produits sont végan, un choix tout à fait conscient de notre part. Je ne suis pas végan mais quand j’ai lancé ma marque, je n’ai voulu laisser personne de côté. Ni mes amis végans, ni les clients de plus en plus sensibles au véganisme qui n'ont plus envie d'avoir des matières animales dans leurs parfums. Des ingrédients comme la cire d’abeille ou les muscs d’origine animale sont supprimés de nos compositions. Des milliers et des milliers d’ingrédients existant en parfumerie, il est dès lors tout a fait possible de trouver des alternatives de substitution. De même, nos produits sont cruelty free, ils ne sont pas testés sur les animaux. D’un point de vue général, le développement durable est une préoccupation pour nous. Nos packagings et nos parfums sont fabriqués, à la commande, en France pour promouvoir l’industrie locale, de même qu’éviter les transports inutiles et le sur-stockage. En ce qui à trait à nos ingrédients, notre vétiver, par exemple, est garanti sans pesticides et sans OGM (acronyme d’organisme génétiquement modifié, par le biais de l’intervention humaine, NDLR), tandis que notre vanille est intégrée dans des programmes de nos partenaires locaux, dédiés à la rétribution équitable des producteurs.
Maxime Garcia-Janin, fondateur de Sillages Paris, le 23 mai 2019, à Paris
De l’intelligence artificielle, un algorithme, internet, des tablettes… cette approche numérique de la parfumerie ne pourrait-elle pas sembler un peu froide à ceux qui attendent du luxe une expérience sensorielle et émotionnelle d’exception ?
Je suis convaincu que le futur du luxe passera par le digital. Il ne faut pas voir la technologie comme une désincarnation de ce qui fait l’essence du luxe mais comme une manière de le faire revivre et de ré-enchanter l’expérience de consommation. D’autant plus que notre algorithme n’est pas une machine froide, il est nourri par des gens, nos parfumeurs qui on leur propre sensibilité. Grâce à lui, nous sommes capables de faire des recommandations personnalisées plus judicieuses que n’importe quel vendeur en boutique. Le luxe, c’est la personnalisation, la création d’un lien émotionnel unique avec le client. Le digital nous permet de mieux connaître nos clients, de discuter avec eux sur les réseaux sociaux, de faire le suivi après achat. Dans notre showroom, certes vous avez pris votre rendez-vous sur internet et vous choisissez vos ingrédients sur un iPad mais vous bénéficiez des conseils d’un expert, pendant un moment privé, dans un lieu privatisé, avec une personne bien réelle qui n’est là que pour vous. Le numérique nous permet d’offrir des conseils et des services très poussés à nos clients. De plus, nous sommes la seule marque à ne pas faire fabriquer nos parfums à la chaîne, en usine, par des robots mais bien dans nos ateliers, à la main, selon la tradition française. Ce serait impossible sans le digital.
Le recours à l’intelligence artificielle et aux algorithmes ne représente-t-il pas un danger pour la pérennité des compétences et des connaissances des parfumeurs traditionnels ?
Pas du tout. Le digital leur permet juste d’exprimer leur savoir-faire d’une autre façon. Il faut bien comprendre que ce n’est pas l’algorithme qui crée le parfum mais nos parfumeurs. L’algorithme ne vise qu’à faire retomber le choix du client sur des formules imaginées par nos nez, en fonction de dosages et de combinaisons qui vont bien ensemble. Derrière cet algorithme, il y a des parfumeurs, des artistes qui développent leur art, depuis des années et vont démocratiser leur savoir, grâce au digital. C’est ça, le luxe de demain, un digital qui ramène de l’humain dans l’expérience personnalisée de consommation, un digital incarné par des savoir-faire et des expertises, donnés en partage à la clientèle.
* Le site internet de Sillages Paris est ici.
* Le showroom des ateliers parfums de Sillages Paris est accessible sur rendez-vous, au 5 rue de Charonne, cour Jacques Viguès, 75011 Paris. Plus d’infos ici.