1/2 – A l’occasion de l’annonce, mardi, par Heuritech d’une levée de fonds de 4 millions d’euros, son co-fondateur Tony Pinville en dit plus long au Boudoir Numérique sur la manière dont il envisage le développement stratégique de son entreprise, spécialisée dans l’intelligence artificielle appliquée à la mode.
Par Ludmilla Intravaia
Le Boudoir Numérique : Vous avez cofondé Heuritech, en 2013, avec votre associé Charles Ollion, comme vous docteur en machine learning (ou “apprentissage automatique”, domaine d’étude de l’intelligence artificielle permettant à la machine d’apprendre à résoudre des problèmes spécifiques, sur base des données qui lui sont transmises). Pouvez-vous revenir sur les jalons qui ont émaillé l’évolution de votre entreprise ?
Tony Pinville, CEO d’Heuritech : A l’issue de nos thèses en intelligence artificielle, nous étions à une époque charnière de son développement, avec l’avènement du deep learning (ou “apprentissage approfondi”, méthodes d'apprentissage automatique pour modéliser des données avec un haut niveau d’abstraction, NDLR). Conscients du potentiel disruptif de cette technologie, nous avons voulu l’appliquer au monde de l’entreprise, en créant Heuritech, startup à mi-chemin entre les problématiques de recherche appliquée et les problématiques business. Nous avons commencé à réfléchir sur la manière de l’adapter aux besoins du marché, au départ, sans domaine de prédilection spécifique. Nous avons travaillé avec les secteurs de la finance, de l’agriculture ou encore avec La Poste. En 2015, suite à une rencontre avec la marque Louis Vuitton, nous sommes rendus compte que le luxe et la mode avaient des attentes importantes en matière de prédictions de tendances. Nous avons ainsi opéré un virage stratégique vers l’industrie du luxe en 2016, en décidant de nous focaliser sur l’analyse d’images sur les réseaux sociaux. En 2017, après une première levée de fonds, nous avons étoffé notre équipe et lancé notre première plateforme analytique de produits iconiques sur les réseaux sociaux, afin d’aider les griffes à mesurer le succès de leurs modèles phares dans le monde. Ce fut un moment fondamental pour nous, où notre technologie s’est transformée en solution directement utilisable par les acteurs des métiers. En 2019, nous avons créé une nouvelle plateforme de détection de tendances pour les marques de luxe et de mode. L'objectif est d'anticiper les tendances, en analysant le contenu des réseaux sociaux pour permettre aux marques qui constituent des plans de collections d’obtenir des données, en temps réel, sur l’évolution constante des préférences des consommateurs à trois, six, neuf mois, un an. Nos algorithmes permettent de déterminer que la tendance, par exemple, de la jupe bleue asymétrique connaitra, dans un an, une hausse de 35%, en Europe.
Vous collaborez donc également maintenant avec des marques de mode…
Après avoir débuté dans le luxe avec les maisons Louis Vuitton, Dior ou Paco Rabanne, notre équipe de quarante personnes prête ses services aux industries du sportswear et de la fast fashion, avec des clients comme Adidas, Kontoor Brands ou Fashion Cube. Nous collaborons avec des marques, dans le monde entier, en Europe, aux Etats-Unis et en Asie.
Vous venez d’annoncer, mardi, une levée de fonds de 4 millions d’euros. En quoi ce nouveau jalon est-il important dans le développement stratégique de votre entreprise ?
Cette levée de fonds va nous permettre de renforcer notre avantage concurrentiel, en investissant dans la recherche et le développement du machine learning et des technologies d'analyse prédictive. Nous allons également recruter de nouveaux collaborateurs et ouvrir deux bureaux à New York et à Singapour pour poursuivre notre expansion à l’international. En parallèle, nous attaquerons de nouvelles industries, en commençant par la beauté, puis le lifestyle. Au cours des dernières années, de nombreuses marques de cosmétiques nous ont sollicité pour avoir accès à notre outil de détection de tendances car le secteur de la beauté est en attente d’informations sur ce qui se passe sur les réseaux sociaux, où les tendances évoluent très rapidement, notamment en Asie. C’est pourquoi nous souhaitons lancer une solution adaptée à ce marché.
Pourquoi deux nouveaux bureaux ?
L'année prochaine, nous allons inaugurer un premier bureau à New York pour continuer à accompagner nos clients existants et être plus présents sur place, afin d’en gagner de nouveaux. Ensuite, en ce qui concerne Singapour, nous avons observé que nos clients en Europe, aux Etats-Unis et même en Asie veulent en savoir plus sur le marché asiatique et, en particulier chinois. Certaines marques asiatiques connaissent très bien leur marché mais moins bien le marché européen et vice-versa. Et il se passe des choses en Chine, dont on ne comprend pas tout. Or, notre technologie a ceci de stimulant qu’elle offre la possibilité de faire émerger, avec précision, les spécificités de chaque marché, permettant dès lors de confirmer ou d’infirmer certaines croyances et de faire la part entre l’idée que l’on se fait intuitivement d’un marché et sa réalité, en tant que telle. C’est la raison pour laquelle nous ajoutons d’autres réseaux sociaux comme Weibo (site chinois de microblogging, NDLR) à notre outil prédictif, pour faire bénéficier nos clients d’une couverture mondiale de l’information, avec des synthèses adaptées à chaque marché.
En matière de recrutement, qu’avez-vous prévu ?
Nous allons engager des experts de la mode et de la beauté, des responsables marketing et des commerciaux, tout en étoffant nos équipes de recherche. A la fin de l’année, nous devrions être cinquante et l’année prochaine, soixante-dix. Au départ, notre équipe était composée d’experts en recherche pure sur l’intelligence artificielle et l’informatique. Dans un second temps, nous avons fait appel à des personnes ayant des compétences produit pour négocier ce virage entre technologie et solution commerciale pour, ensuite, engager des experts de la mode, afin d’identifier les tendances pertinentes, aux yeux de nos clients. Dorénavant, nous combinons l’expertise technologique avec les compétences business et mode. Cette cross-fertilisation entre deux mondes généralement séparés, la mode et la technologie, fait notre force et nous ouvre des champs exploratoires énormes.
* Lisez la seconde partie de l’interview de Tony Pinville, dans l’article du Boudoir Numérique : “L’IA peut contribuer au cercle vertueux de la mode durable”.
* Poursuivez votre lecture sur Heuritech avec cet article du Boudoir Numérique : “Tendance, les jupes plissées léopard ? Les IA le savent !”.