Très dynamique au sein du mouvement Maker, le studio de design français Le FabShop, dédié aux technologies de fabrication numérique, est particulièrement actif dans la promotion du 3D printing auprès du grand public. Le boudoir numérique a rencontré son fondateur, Bertier Luyt, pour discuter fashion technology.
Le boudoir numérique : qu’est-ce que Le FabShop ?
Bertier Luyt, fondateur du FabShop : Le FabShop est un studio de design et de création, centré sur les technologies de fabrication numérique. Distributeur d’imprimantes 3D et centre de formation, il est également l’animateur d’une communauté de Makers (passionnés de technologie et de fabrication d’objets concrets, rassemblés, dans le monde entier, au sein du mouvement Maker, né aux Etats-Unis, NDLR). Notre laboratoire parisien de prototypage et d’innovation, le FabClub, a ouvert ses portes au public, en mars dernier, tandis que divers événements réunissant les membres du mouvement Maker, comme le salon Maker Faire Paris, en mai dernier, sont organisés par nos soins. Nous produisons du contenu original, tant pour nos propres projets, que pour les entreprises s’adressant au studio pour accompagner leur démarche créative.
Qu’est-ce que l’impression 3D ? Pourquoi la définit-on comme une méthode de fabrication additive ?
Les techniques traditionnelles de fabrication sont dites soustractives. On taille un arbre, on coupe des planches, on les usine et on finit avec un pied de chaise. C’est-à-dire que l’on a soustrait une certaine quantité de matière à la pièce de bois d’origine. Même chose pour la pierre, pour le métal, etc. La technologie de l’impression 3D relève, elle, de la fabrication additive, à savoir le dépôt de couches successives de matière pour créer des objets tridimensionnels. Que l’on imprime une maison ou une cellule biologique, le principe demeure le même : sur base d’un modèle virtuel dessiné dans un logiciel 3D sur l’écran de votre ordinateur, une machine empile la matière, couche par couche, pour reconstituer l’objet virtuel en objet physique. Pour chaque technologie d’impression spécifique, des dizaines, voire des centaines, de matériaux sont d’ores et déjà disponibles.
Que permet le 3D printing en matière de mode et d’accessoires ? Vous mêmes, au FabShop, avez créé un corset sur mesure, le corset Muse, que l’on peut découvrir dans votre livre "Impression 3D pas à pas", aux Editions Marabout…
Le corset Muse est un projet de notre studio de design, destiné à mettre en avant les applications concrètes du 3D printing. Dans un premier temps, nous avons scanné en trois dimensions le corps d’une jeune femme pour obtenir un modèle précis de sa morphologie. Nous avons ensuite dessiné et imprimé pour elle ce corset sur mesure.
Pourquoi ce pas vers l’habillement ?
Nous travaillons régulièrement avec la mode. Il y un an, nous avons été invités à faire découvrir l’impression 3D aux visiteurs de Who’s Next, à Paris (salon international du prêt-à-porter, en deux éditions annuelles, au Parc des expositions de la Porte de Versailles, NDLR). Nous sommes convaincus que nos machines de prototypage rapide devraient être utilisées par les concepteurs, les designers et les personnes créatives. Amener une dimension technologique et innovante à des métiers traditionnels comme la mode fait partie de la manière dont ils seront envisagés dans le futur. Notre démonstration au salon Who’s Next était un message adressé aux gens de la mode pour leur dire : votre métier se transforme. Demain, entre les informations partagées par les clients sur les réseaux sociaux comme Facebook, leurs cartes de fidélité permettant de connaître leurs habitudes d’achat et la présence, dans les galeries marchandes, de scans 3D générant des bases de données sur leur morphologie exacte, les marques vont pouvoir fabriquer, à la demande, des produits personnalisés. Il sera ainsi possible de créer des pièces uniques, fruit d’une relation privilégiée avec la clientèle, dépassant de loin la valeur des produits en eux-mêmes.
Va-t-on pouvoir un jour imprimer sa propre chemise à la maison ?
A la maison, je ne pense pas. Aujourd’hui, la population mondiale d’imprimantes 3D atteint 250.000 unités. Les objectifs des industriels et des analystes montent à 20 millions de machines en 2020. Ces machines, du moins pour celles impliquant des technologies compliquées, ne seront pas installées chez les particuliers mais près de chez eux, dans les galeries marchandes ou dans des centres spécialisés de fabrication de proximité. On parle alors de fabrication distribuée et non plus centralisée, comme c’est le cas actuellement en Extrême-Orient, par exemple. Il ne s’agira plus de produits acheminés par bateau, puis stockés avant d’être vendus mais de fabrication locale à la demande, avec un impact économique et écologique différent. Tel est l’avenir promis par l’impression 3D.
D’après vous, l’impression 3D s’inscrirait donc dans une perspective durable et écologique? Pour certains, elle est pourtant synonyme de plus et plus de plastique…
Il faut lever le nez de la manière dont cette technologie est perçue, à l’heure actuelle. Une technologie comparée, aujourd’hui, à l’internet en 1979 ou à l’informatique personnelle de la fin des années 70. A cette époque, personne ne se disait qu’il avait besoin d’un ordinateur. En comparaison, aujourd’hui, avec votre téléphone portable, votre tablette, votre ordi à la maison et celui du bureau, vous disposez d’au moins quatre ordinateurs, dix à douze, si vous avez une famille. Ainsi, vous pensez au plastique en envisageant l’impression 3D mais le futur de la recherche réside dans les nouveaux matériaux et leurs applications. C’est là où tout va changer, tout va basculer.
Basculer d’un point de vue écologique aussi?
Outre le fait que ces machines permettent de produire presque sans déchets, on n’utilise que la quantité nécessaire, dont on a besoin, pour créer un objet, le reste étant stocké, dans l’attente de la prochaine fabrication. Et quand il y aura un maillage suffisant de machines disponibles sur le territoire, des machines ultra performantes et hyper spécialisées, on fabriquera localement près de chez vous, en évitant les problèmes de transport, de stockage et d’immobilisation, particulièrement énergivores. Oui, l’impact écologique viendra avec le développement de la technologie en elle-même et oui, il est quasiment garanti.
Quelles initiatives mettriez-vous en lumière, en matière de fashion technology? Avec qui collaborez-vous ?
Nous sommes proches de l’entreprise américaine Nervous System, dont la fondatrice Jessica Rosenkrantz, diplômée du MIT (le Massachusetts Institute of Technology, université américaine spécialisée en sciences et technologie, NDLR) propose une collection de bijoux en 3D printing, paramétrables à la demande, selon vos désirs. En quelques clics, vous allez obtenir une pièce unique, sur base des modèles de bracelets, bagues, colliers ou broches présentés sur le site, autant de bijoux qui ne seront fabriqués qu’une fois la commande réalisée. Pour en revenir à la dimension économique, nous assistons là à un véritable changement de paradigme, puisque les machines de Nervous System ne travaillent qu’une fois le bijou payé.
En quoi est-ce un changement ?
Quand on est bijoutier aujourd’hui, il faut concevoir le bijou, mais aussi le fabriquer, le stocker, l’exposer et faire sa promotion pour qu’il se vende, avec tous les risques que cela implique. Les machines d’impression 3D du fournisseur de Nervous System, elles, ne fabriquent que les quantités demandées, au moment où elles sont demandées. Jessica Rosenkrantz se concentre uniquement sur la conception du bijou en amont et sur la finition des pièces. Et 80% du boulot laborieux de fabrication de la pièce est laissé à une machine qui le fait mieux, plus vite et plus obstinément qu’elle. De même, nous avons collaboré avec la marque américaine Continuum Fashion, dont la créatrice Mary Huang a inventé le premier bikini imprimé en 3D, il y a 5 ans. En 2014, elle a lancé sa première collection de chaussures en 3D printing. Demain, les pieds des clients seront scannés, afin d’obtenir des chaussures qui leur iront parfaitement. Là encore, l’économie de ce secteur d’activité en sera bouleversée.
Des collaborations en France ?
Nous soutenons Holy Faya, une marque de bijoux française qui, contrairement à Nervous System utilisant les matières nobles, or et argent, s’appuie principalement sur le plastique. La manière originale dont Nelly Zagury et Célia Elmasu d’Holy Faya customisent leurs pièces, en fonction de leur univers pop et street wear, apporte, d’après moi, beaucoup de valeur ajoutée au procédé d’impression 3D.
* Le site internet du FabShop : www.lefabshop.fr.
* Le site internet de Maker Faire : www.makerfaireparis.com.
* La vidéo de la conférence de Bertier Luyt sur le 3D printing, intitulée «Hackers are the new craftsmen, tradition and 3D printing», le 1er juillet 2014, lors de l’événement parisien sur le luxe et l’innovation numérique, Hackers on the Runway : www.hackersontherunway.com.
* Pour en savoir plus sur les techniques de fabrication additive, imprimantes, logiciels de modélisation, méthodes de scan et plateformes de téléchargement : "L’impression 3D pas à pas" de Samuel N. Bernier, Bertier Luyt et Tatiana Reinhard, 2014, aux Editions Marabout.
* Le salon Who’s Next à Paris consacre une série de conférences à la fashion technology, le lundi 7 septembre 2015 : www.whosnext-tradeshow.com.
* Le site internet de Nervous System : n-e-r-v-o-u-s.com.
* Le site de Continuum Fashion : www.continuumfashion.com.
* Le site de Holy Faya : www.holyfaya.com.
* Poursuivez cette réflexion sur l’impression 3D avec cet article du magazine Victoire sur "L'esthétique du futur" by Le boudoir numérique.
* Lisez les réflexions du Boudoir numérique sur le 3D printing, interviews et shopping produits à l’appui, dans cet article du quotidien belge Le Soir, consacré à "L'impression 3D au service de notre quotidien".
Ludmilla Intravaia