Les marques et les magazines s’adaptent à l’épidémie de Covid-19, en faisant poser les mannequins en quarantaine pour des séries photo en mode selfie ou FaceTime. Décryptage.
Par Ludmilla Intravaia
Même si on adore manger en restaurant gastronomique, on est bien heureux, en ces temps de confinement, de se contenter d’une boîte de raviolis, dans nos cuisines en quarantaine. Les raviolis en conserve, ça fait bien l’affaire, c’est même bon pour certains mais de là à dire que c’est génial, ça se discute. Alors, quand la presse qualifie de “splendide”, “superbe”, “exceptionnel”, “original”, “touchant”, “poétique”, “créatif”, “authentique” et “génial” donc, le fruit photographique de la récente tendance au shooting de mode homemade, pour cause de Coronavirus, on se prend à rire de cette élévation subite de la boîte de raviolis au rang de délice étoilé.
Certes, le top modèle Bella Hadid fait preuve d’une agilité des plus sculpturales en talons aiguilles, chaussettes hautes et bomber Dsquared2, dans les clichés pris pour Vogue Italie par la photographe Brianna Capozzi, via l’application de visioconférence FaceTime de son smartphone (cliquez sur la flèche à droite de la photo pour voir les coulisses du shooting).
Evidemment, sa sœur Gigi Hadid apparaît sensuellement photogénique, dans son total look Chanel, immortalisé sur son canapé par Leah McCarthy, sa copine influenceuse aux 136.000 abonnés Instagram, toujours pour cette série spéciale confinement “Far Away so Close” du Vogue italien d’avril (voir ici).
Quand aux mannequins confinées de la marque Zara, elles n’ont pas hésité à jouer du selfie et du retardateur, pour mettre en valeur les pièces de la collection printemps-été 2020, au creux de leur intérieurs douillets, propices à la distanciation sociale (voir ici).
Perche à selfie, dispositif retardateur, contrôle de l’appareil photo via internet, photomaton, bras robotique… la tendance à se photographier soi-même, à distance ou par le biais d’une interface n’est pas nouvelle et beaucoup s’y sont essayés avec talent, réussissant à transformer les contraintes de l’exercice en atouts esthétiques. Déjà, comme le relate l’ouvrage “Pages from the Glossies” consacré à ses plus éloquentes images de mode, Helmut Newton construisit une machine munie d’un moteur, d’un minuteur et d’un miroir permettant au mannequin de contrôler ses poses, avant de réaliser elle-même son portrait, pendant que le photographe star buvait des coups au café du coin.
Si le génie décalé du maître planait sur les autoportraits pris par sa “Mister Newton do-it-yourself pin-up machine”, on n’en dira pas autant des premiers résultats de ces shootings confinés. Composition banale, lumière plate, manque de piqué des images… pas encore de quoi s’esbaudir, même si certains articles de presse s’en chargent pour nous. A sa décharge, le phénomène, encore à ses balbutiements, n’a pas encore eu le temps de libérer son potentiel créatif. Mais alors qu’une photographie de mode aux accents vernaculaire et aux intentions prosaïques ne cesse de monter en puissance depuis l’avènement des réseaux sociaux, l’émergence de ces premières séries de mode DIY soulève des interrogations sur un éventuel affaiblissement du rôle du photographe, du styliste et du makeup artist, de même que sur l’appauvrissement du langage photographique et de la capacité des spectateurs à apprécier ses différents points de vue.
Et si la tendance s’installe comme mentionné par Gigi Hadid sur son compte Instagram, évoquant “la nouvelle normalité trouvée par l’industrie de la mode”, on peut déjà commencer par questionner les risques sanitaires pris par les livreurs des colis contenant les vêtements destinés aux mannequins et la propension consumériste à pousser les internautes à continuer d’acheter des produits non essentiels, dans un contexte où, par exemple, l’entreprise d’e-commerce Amazon vient de se voir enjoindre, par voie judiciaire, de restreindre ses activités aux seuls produits alimentaires, d'hygiène et médicaux, en France.