"La biofabrication favorise une mode éco-responsable"
Peut-on cultiver ses vêtements ? Pénétrez dans le grand laboratoire de la biofabrication, en compagnie de Sabrina Maroc, rencontrée au salon Avantex qui s’est déroulé au Bourget, du 16 au 19 septembre dernier. La fondatrice d’Open BioFabrics, structure dédiée à la biofabrication, appliquée à la mode, explique au Boudoir Numérique comment il est possible “d’utiliser les bactéries, les levures, les champignons ou les algues pour créer de nouveaux matériaux, tissus et colorants”.
Par Ludmilla Intravaia
Le Boudoir Numérique : Qu’est-ce qu’Open BioFabrics ?
Sabrina Maroc, fondatrice d’Open BioFabrics : Notre structure dédiée à la biofabrication est née en France, en 2015. Nous avons débuté par l’expérimentation sur la culture bactérienne de cellulose, telle que réalisée par la biodesigner pionnière Suzanne Lee. Nous avons développé la recherche et développement sur les nouvelles biotechnologies et collaboré avec des artisans pour déterminer comment elles pouvaient s'adapter au savoir-faire ancestral, tout en partageant nos connaissances, en open source, sur un mode collaboratif. Très vite, nous nous sommes rendus compte que, en dehors du monde scientifique, la biofabrication était encore méconnue du grand public. Nous nous sommes donc réorientés vers sa promotion auprès des personnes qui veulent découvrir comment elle peut être appliquée au secteur de la mode. Aujourd’hui, nous mettons en lumière les travaux des biodesigners, des entreprises de biotechnologies et des communautés de biohacking par la diffusion des dernières nouvelles sur nos réseaux sociaux et par l’animation d’événements comme l’espace “Biofabrication dans la mode” d’Avantex. Nous organisons également des workshops dans des écoles d'art, d'ingénieurs ou de design pour initier les étudiants à ce sujet et leur permettre d'expérimenter. Nous intervenons aussi en entreprises pour les tenir au courant de ce qui existe, en matière de biotechnologies.
La biofabrication, c’est quoi ?
C’est la culture de matériaux avec des cellules vivantes. Cette discipline récente est apparue à la fin des années 2000, dans le domaine de recherche biomédical de l’ingénierie tissulaire et de la médecine régénérative. Depuis une dizaine d’années, la biofabrication s’est beaucoup développée, à la faveur d’une baisse du coût des équipements et de l’amélioration des techniques devenues plus performantes. A l’intersection de la biologie, du design et de la technologie, elle est dorénavant en plein essor, notamment dans l’industrie de la mode, où elle consiste à utiliser les bactéries, les levures, les champignons ou les algues pour créer de nouveaux matériaux, tissus et colorants.
Vous évoquiez la pionnière Suzanne Lee ?
Cette biodesigner britannique a mis au point le projet BioCouture, aujourd’hui clôt, dont la mission était de cultiver des vêtements en cellulose bactérienne, à partir de souches de Kombucha (voir ci-dessous, NDLR).
Avec l’entreprise américaine Modern Meadow, spécialisée dans la production de protéines de collagène, elle a développé la technologie de cuir bio-imprimé Zoa, dont un T-shirt a été exposé au Moma, à New York, en 2017 (voir ci-dessous, NDLR). Ce T-shirt n’a pas de coutures, les empiècements étant joints par le cuir liquide de la technologie Zoa.
Regardez la vidéo Zoa, ci-dessous.
Suzanne Lee se concentre dorénavant sur son projet Biofabricate et, notamment, le sommet annuel du même nom sur la biofabrication qu’elle a fondé en 2014.
On peut donc créer des matières, à partir d’algues, par exemple ?
Tout à fait. Dans le cadre de son travail de recherche “An Ocean full of Opportunities” (un océan plein d’opportunités, NDLR), la biodesigner allemande Carolyn Raff a utilisé des algues pour fabriquer des biopolymères biodégradables, qu’elle découpe en différentes formes, pour créer des fleurs décoratives, par exemple (voir ci-dessous, NDLR).
Le studio néerlandais Nienke Hoogvliet, lui aussi, travaille avec des algues et des matériaux issus des eaux usées, avec lesquels il a notamment teint son kimono Kaumera (voir ci-dessous, NDLR).
Regardez la vidéo sur le kimono Kaumera ci-dessous.
Peut-on dire que la biofabrication s’inscrit dans une démarche de mode durable, respectueuses des êtres sensibles et de l’environnement ?
Pour la plupart des projets, oui, elle la favorise, le but étant de créer des matières avec un impact environnemental le plus faible possible. Si nous prenons le cas des teintures actuelles, elles sont issues de la pétrochimie. Les colorants biofabriqués, eux, le sont avec des bactéries nourries de glucose, ce qui génère moins de pollution. L’entreprise française Pili produit des colorants écologiques avec des bactéries se développant à température ambiante, consommant, de fait, moins d’énergie fossile. A terme, utiliser les déchets agricoles pour alimenter ces bactéries serait bénéfique à la mode circulaire. Mené par les designers Laura Luchtman et Ilfa Siebenhaar, le projet Living Colors consiste à faire croitre, directement sur le tissu, des pigments de bactéries, en alternative aux teintures synthétiques toxiques (voir ci-dessous, NDLR).
Regardez la vidéo Living Colors ci-dessous.
Enfin, l’entreprise allemande ScobyTec qui produit de la cellulose bactérienne, par exemple pour fabriquer des sacs (voir ci-dessous, NDLR), se veut cruelty free et vegan, puisque ses matières peuvent se substituer au cuir traditionnel, sans exploitation animale. Et ce n’est qu’un début, l’exploration du champ des possibilités futures ne fait que commencer.
* Sites internet des entreprises, projets et marques citées dans cet article du Boudoir Numérique : Open Biofabrics, Modern Meadow, Biofabricate, Carolyn Raff Studio, Studio Nienke Hoogvliet, Pili, Living Colors, ScobyTec.
* Approfondissez votre recherche sur la biofabrication avec les livres suivants :
- “What's Your Bio Strategy ? : How to Prepare Your Business for the Age of Synthetic Biology” de John Cumbers et Karl Schmieder, Pulp Bio Books, 2017, 192 pages.
- “Bio Design : Nature - Science – Creativity” de William Myers et Paola Antonelli, Museum of Modern Art, 2018, 304 pages.
- “Seaweed research” de Studio Nienke Hoogvliet, 2016, 100 pages (en vente ici).
* La prochaine édition d’Avantex, le salon international de l'innovation mode et textile, se déroulera au Bourget, du 10 au 13 février 2020. Plus d’infos sur le site internet ici.
* Poursuivez votre lecture sur Le Boudoir Numérique avec l’article suivant : “Fashion tech à l’expo La fabrique du vivant”.
* Découvrez, enfin, sur Le Boudoir Numérique, l’interview de Tony Jouanneau, biodesigner français, créateur de l’Atelier Sumbiosis qui a remporté le prix du public, lors de la Fashion Tech Week 2019, en octobre dernier.