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GAIA - "Réfléchissons à des manières de consommer qui reflètent plus d’empathie envers les animaux"

Michel Vandenbosch, président de Gaia, le 6 août 2021, à Bruxelles (© Lionel Samain pour Le Boudoir Numérique)

2/2 – Et agissons en conséquence. Suite et fin de l’entretien du Boudoir Numérique avec Michel Vandenbosch, où le président de l’association belge de défense des animaux Gaia livre sa vision de la manière dont la technologie innovante pourrait combler ce fossé entre le plaisir de consommer et la nécessité de traiter les animaux sans cruauté. 

Par Ludmilla Intravaia 

Le Boudoir Numérique : Dans la première partie de votre interview (lire ici), vous évoquiez le rôle à jouer par la technologie innovante dans la lutte contre la souffrance organisée des animaux, notamment par la mode et le luxe. Mais aussi celui de la science et de l’empathie. Pouvez-vous nous éclairer sur ce dernier point? 

Michel Vandenbosch, président de Gaia : Nous avons tous une certaine conception de ce qu'est un animal, un mammifère, un primate, un poisson, etc. Parce que nous avons été éduqués, conditionnés, élevés dans une société qui véhicule une idéologie basée sur certaines connaissances, partis pris ou idées fausses. Mais aujourd'hui, à cause des découvertes scientifiques récentes, nous assistons à une modification du regard sur ce que cela représente d'être un animal non humain. La science, la psychologie animale se sont surtout penchées sur les primates, les grands singes notamment. Les scientifiques ont mis en avant les capacités cognitives des mammifères, dotés d’une conscience qui leur confère une certaine valeur dans la balance éthique. C'est vrai mais ça ne peut pas se limiter aux grands singes, aux mammifères parce que nous ne ferions que passer d’un stade anthropocentrique à un stade mammocentrique ou primatocentrique. Cette vision des animaux est beaucoup trop limitée car les vertébrés, les poissons, les oiseaux, etc. ont également leur propre intelligence. Ils ne sont pas des humains mais ils ont leur propre nature, leurs propres spécificités, en tant qu’être sensibles. Il est vraiment important de laisser de côté cette hiérarchisation des animaux, si on veut arrêter de les considérer comme des objets. Et plus les gens ressentiront cette empathie envers tous les animaux non humains, plus il leur sera impossible de les mettre à mort pour la satisfaction de besoins triviaux. 

Que conseiller aux gens sensibilisés à la cause animale pour faire bouger les choses? 

Il faut commencer par soi-même. Et réfléchir à ses façons de consommer, pour qu’elles reflètent plus d’humanité, plus d’empathie envers les animaux. Mais il ne faut pas rêver. Je suis un pragmatique idéaliste. Ce qui veut dire que j'ai mes rêves, j'ai mes objectifs, j'estime que les animaux doivent être respectés. Mais respecter les animaux, c'est vite dit. Le respect est un concept avec lequel on peut tout dire mais ne rien faire. A écouter les gens, tout le monde aime les animaux, les respecte. Le fait de traiter les animaux de manière moins cruelle est une valeur que l'on retrouve partout, dans toutes les cultures. Mais d'un autre côté, les gens vivent rarement en conformité avec leurs valeurs et leurs pensées, largement dissociées de leurs actes réels. 

Comment combler ce fossé?

Pour obtenir des changements concrets, j’en reviens au rôle fondamental à jouer par la technologie innovante. Notamment dans le domaine de l’alimentation. L’approche vegan, je suis complètement pour. Mais combien de vegans et végétariens y a-t-il dans le monde? Quelques pourcents seulement. Certes, j'ai vécu l'époque où nous n’étions qu’une poignée. Donc, la situation s’améliore, les rayons des grandes surfaces s’ouvrent à la nourriture vegan, la cuisine végétarienne est de plus en plus appréciée. Mais ne nous leurrons pas, les gens sont hédonistes, ils veulent se faire plaisir. Il ne faut donc pas sous-estimer le pouvoir de cet hédonisme dans leurs habitudes alimentaires. 

Que voulez-vous dire par là ? 

Pour faire changer l’habitude qu’ont les gens de manger de la viande, il faut leur proposer une alternative qui leur prodiguera autant de plaisir que les aliments d’origine animale, par ailleurs valorisés dans notre culture par une certaine idée qu’on se fait de la gastronomie. Ce n'est pas évident. C'est pourquoi, chez Gaia, nous sommes de fervents défenseurs du développement de la viande cultivée, à partir de cellules souches animales. Car si le pourcentage de vegans et de végétariens, au sein de la société, va augmenter à l'avenir, la majorité des gens voudra continuer, peu importe la raison, à consommer de la viande. Il faudra ainsi innover avec des produits susceptibles d’allier le plaisir que les gens se font en mangeant avec la nécessité de ne pas faire souffrir les animaux.

Outre les nouvelles matières innovantes de la mode et du luxe, dont nous avons parlé dans la première partie de notre discussion (lire ici), la viande cultivée vous apparaît donc comme un outil efficace pour lutter contre l’exploitation des animaux? 

Je suis convaincu que la viande cultivée trouvera sa place, plus tôt qu'on ne le croit, dans les rayons de nos supermarchés. Des acteurs économiques investissent déjà des millions d’euros dans ce domaine. Quand la viande cultivée représentera un intérêt économique en soi et que les gens auront saisi qu’il s’agit de vraie viande, avec le même goût, la même texture que la viande d’origine animale mais obtenue sans cruauté envers les animaux, la valeur de la vie animale augmentera et les tueries en masse des animaux commenceront à poser de véritables problèmes éthiques pour le grand public. 

Finalement, il ne s’agit peut-être pas de convaincre tout le monde pour faire avancer les choses. Si on atteignait une masse critique de gens sensibilisés à la cause animale, dont les actes s’accordent aux valeurs qu’ils défendent, un cercle vertueux de changement ne devrait-t-il pas s’enclencher?  

Oui. A partir du moment où ce seuil critique sera atteint, les changements se feront de façons de plus en plus rapides. Et c'est en amont que nous y travaillons. Pour y arriver, c'est dur, il faut faire des efforts, y consacrer énormément d'énergie, à tel point que s’en est presque insupportable parfois. Mais il faut le faire. Pour que l'animal ne soit plus dévalorisé au rang de matière première à exploiter mais compris comme un sujet à part entière qui doit être respecté, concrètement, dans les actes que nous posons.

Avez-vous bon espoir qu'on y arrive, à cette empathie pour tous les animaux non humains?

Même si nous avons conquis le cœur des gens, nous serons toujours confrontés, en tant que réformateurs, à des acteurs qui résisteront aux changements de la révolution animale, antispéciste, des puissances économiques et politiques qui continueront à freiner ce mouvement s’opposant à leurs intérêts conservateurs. D’autant plus que la force des idées reçues et de cette idéologie ayant tendance à considérer les animaux comme des objets se transmet de génération en génération, depuis des centaines d'années, dans la culture de nos sociétés. Or changer la culture, ça prend du temps et ça se fait étape par étape. Dans certains secteurs, ça peut arriver très vite, dans d'autres, ça prendra plus de temps. C'est une transition qui est en train de se faire. Je ne dis pas qu'elle s'est faite mais elle se fait de plus en plus. Pour ma part, je me dis que tant que les hirondelles sont de retour, il y a de l’espoir. 

* Lisez la première partie de l’interview de Michel Vandenbosch dans cet article du Boudoir Numérique : “La technologie innovante aide à faire changer les mentalités sur les animaux”

* Toutes les infos sur la campagne “Poule de luxe, sérieusement ?” ici. Plus d’infos également là. 

* Plus d’infos sur Gaia (Groupe d'Action dans l'Intérêt des Animaux), sur le site internet de l’association belge de défense des animaux, ici. 

Michel Vandenbosch, président de Gaia, le 6 août 2021, à Bruxelles (© Lionel Samain pour Le Boudoir Numérique)

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