#4 – Terrains virtuels dans le metaverse, skins et NFTs, rubans connectés et œuvres textiles, vêtements en fibres de bois, sacs en champignon… Que s’est-il passé de neuf en fashion tech cette semaine ? Pour tout savoir, écoutez ce podcast du Boudoir Numérique (ou lisez le résumé ci-dessous).
Par Ludmilla Intravaia
Entrons immédiatement dans le vif du sujet avec la mode virtuelle, gros dossier hype du moment. Tout d’abord, alors qu’on a appris jeudi que Gucci construisait son propre metaverse dans le jeu vidéo The Sandbox, c’est le designer Philipp Plein qui s’assure, lui aussi, une place bien au chaud dans la réalité virtuelle. Pour ça, il a ouvert tout grand son portefeuille de crypto-monnaies, puisqu’il a déboursé pas moins de 1,4 million de dollars, un peu plus de 1,2 million d’euros, pour s’offrir un terrain immobilier de 16.400 mètres carrés dans Decentraland. On le sait, le créateur allemand voit toujours les choses sous le prisme de la démesure. Cette acquisition ne fait pas exception à la règle car le terrain accueillera le Plein Plaza, un lieu de loisirs, avec boutiques, musée, hôtel, habitations de luxe, bref, toutes choses indispensables au style de vie bling bling à la Philipp Plein.
Decentraland - retenez bien ce nom - est une plateforme de réalité virtuelle dans laquelle on peut acheter des parcelles de terrains, sous forme de jetons non fongibles, des NFTs. Cette plateforme, dont la version beta a été lancée en 2017, et désormais ouverte au public depuis 2020, fait de plus en plus parler d’elle dans le monde de la mode. Decentraland va notamment organiser une première fashion week virtuelle, fin mars prochain. On y reviendra, en temps voulu.
Puisque nous évoquions les jetons non fongibles, Kenzo lance sa première série de NFTs, à l’occasion de la sortie, le 5 février, de la collection physique Boke Flower de son nouveau directeur artistique, Nigo. Si vous voulez obtenir l’une des cent créations digitales autour de la fleur emblème de Kenzo, vous pouvez vous inscrire, sur le site de la marque française, jusqu’au 13 février, afin d’être tiré au sort. Attention, il faut au préalable avoir fait l’acquisition d’une pièce de la collection Boke Flower.
Autre nom à retenir : Roblox, un jeu vidéo au sein duquel la marque américaine de sport Alo Yoga vient d’inaugurer un espace virtuel. Les images ont été publiées jeudi, sur son site internet. Il s’agit d’une île, où l’on peut se rendre pour faire du yoga ou de la médiation. La marque n’y vend pas de vêtements. Du moins, pas encore. Il s’agit plutôt, ici, de faire découvrir l’univers de la marque aux joueurs qui le visitent pour nourrir son storytelling. Par exemple, votre avatar suit une séance de méditation guidée, à l’issue de laquelle vous débloquez un pull Alo Yoga pour l’habiller. On est dans l’idée de l’expérience immersive, expérience prévue jusqu’à la fin du mois, avec la possibilité de suivre, depuis l’espace virtuel d’Alo Yoga, des séances de méditation guidée qui se dérouleront, in real life, du 12 au 14 février, pendant la fashion week de New York.
Je me souviens d’une interview d’Antoine Vu, sur Le Boudoir Numérique (lire ici), dans laquelle le cofondateur de la startup de réalité augmentée Atomic Digital Design me racontait comment son équipe avait dû s’adapter à la naissance de nouveaux métiers - réalisateur, designer, programmeur en réalité augmentée - professions qui n’existaient pas auparavant et que l’on n’apprend pas encore à l’école, en raison de l’évolution ultra rapide des technologies numériques. Illustration parfaite de ce phénomène sur Roblox, cette semaine, puisque la styliste Gemma Sheppard, connue pour ses apparitions à la télé anglaise, est devenue la première directrice mondiale de la mode du metaverse de Roblox, où elle donnera des conseils aux joueurs pour habiller leur avatar et créer leur garde-robe virtuelle. La naissance de ces nouveaux métiers dans le metaverse sera passionnant à suivre sur Le Boudoir Numérique.
Sinon, mardi 8, Prada a dévoilé sa collaboration avec le jeu vidéo de sports extrêmes Riders Republic d’Ubisoft pour lequel la marque italienne a imaginé des looks numériques, à savoir trois skins pour avatars inspirés de sa ligne technique Prada Linea Rossa. La collection virtuelle est complétée par des skis, des snowboards et des vélos.
Tout n’est quand même pas rose dans le monde éminemment mercantile du metaverse. Car s’il y a des collaborations entre les marques de mode et les compagnies de tech, c’est encore la jungle du côté de la propriété intellectuelle, quand des copies NFT de pièces ou d’accessoires de marques sont mises en vente, sans leur autorisation. Je vous le racontais dans mon premier podcast (écouter ici), en janvier dernier, la maison Hermès a porté plainte contre l’artiste digital qui a mis en vente des MetaBirkins, des copies NFT de son sac iconique Birkin. La marque de sport Nike a fait de même, cette semaine, en portant plainte contre la plateforme de vente en ligne d’articles streetwear StockX qui propose des actifs numériques, des sneakers brandés Nike, sans sa permission. Nul doute que l’issue de ce type de procès aura, à l’avenir, une influence sur la réglementation commerciale du metaverse
Revenons dans la vraie vie. Cette semaine, c’était la semaine des salons professionnels, Texworld Evolution au Bourget et Première Vision à Villepinte. Dans le dernier podcast (écouter ici), je vous parlais de la belle brochette d’acteurs de la fashion tech présents à Textworld Evolution pour toute une série de tables rondes. J’évoquais notamment, à l’intersection du design textile et des sciences, Claire Eliot, déjà interviewée sur ses recherches en e-textile sur Le Boudoir Numérique (lire ici). Or, la designer française m’a appris qu’elle lançait officiellement, vendredi 11, son studio de design et bureau d'étude Studiotech, fruit de son incubation, depuis septembre dernier, aux Ateliers de Paris, le Bureau du design, de la mode et des métiers d'art de la Ville de Paris.
Studiotech est spécialisé dans la conception de textiles et d’accessoires connectés. Si vous avez envie d’en savoir plus, vous pouvez aller à la rencontre de Claire Eliot, à l’occasion du meetup Creative Code Paris du 17 février prochain. Les meetups du groupe Creative Code Paris regroupent des artistes, des enseignants, des développeurs et toutes personnes ayant un intérêt commun pour l'algorithmique, la programmation créative, le graphisme, l'animation et le son. Claire Eliot y présentera deux de ses projets, Soft Mirror et Transient Sound, une exploration des possibilités offertes par les matériaux souples, lorsqu’ils sont associés à de l’électronique. Il ne s’agit donc pas de vêtements, m’a-t-elle expliqué mais “d’interfaces tangibles électroniques avec du textile”, pour reprendre ses mots. Soft Mirror, par exemple, est une interface textile qui bouge, en fonction des déplacements de son utilisateur.
Maintenant, quand on pense à des vêtements fashion tech à proprement parler, une autre designer française vient immédiatement en tête, toujours dans le contexte des salons professionnels de cette semaine, mais à Première Vision cette fois, c’est Clara Daguin. Clara Daguin est une designer de mode qui travaille avec de la tech – le magazine Les Inrocks l’a qualifiait, en 2020, d’”ingénieure de mode” -, que je suis de près sur Le Boudoir Numérique, depuis 2017, où j’ai fait sa connaissance et son interview (lire ici), déjà sur Première Vision où elle présentait la tenue lumineuse Thorax, issue de sa première collection. Elle fait de la fashion tech mais avec une véritable démarche couture, beaucoup d’élégance et de raffinement. Ces silhouettes ont de la gueule et sortent de l’ordinaire. C’est le cas de son bomber Infini, créé en 2020, une pièce inspirée du fameux blouson militaire, dont le tissu transparent est décoré de broderies lumineuses qui réagissent, selon les changements de l’environnement extérieur.
Ce bomber Infini a été mis en avant, lors de cette édition de Première Vision, sur le stand de l’entreprise française Satab. C’est, en effet, à ce rubannier, un producteur de rubans, à qui l’on doit la technologie de smart textile qui fait s’illuminer les broderies. Il s’agit des rubans connectés e-NF (pour e-Narrow Fabrics ou, en français textile étroit, du ruban en somme), dont les LEDs multicolores se mettent en action, sous l’impulsion d’un capteur de mouvements à 360 degrés, inséré dans la doublure du bomber. De fait, le vêtement change de couleurs, en fonction des mouvements autour de lui, un grand classique de la fashion tech.
Toujours à Première Vision mais là, on part vers la mode plus durable, la Confédération européenne du lin et du chanvre a présenté les résultats de son étude sur le cycle de vie du lin européen. Cette étude a été menée selon la nouvelle méthode mise en place par la Commission Européenne. Baptisée PEF (pour Product Environnemental Footprint ou, en français, empreinte environnementale produit) cette méthode permet d’obtenir des données précises pour évaluer l’impact environnemental des produits fabriqués en lin européen, autant de données fiables à transmettre aux acteurs de la mode, aux marques pour les soutenir dans leur transition écologique. Vous pouvez télécharger le rapport sur le site internet de la Confédération européenne du lin et du chanvre.
Pour poursuivre sur la mode durable, saluons deux annonces faites mardi :
* En premier lieu, la naissance de Fibral Material Alliance, l’alliance de fabricants de textiles innovants, à base de fibres végétales qui regroupe notamment les entreprises commercialisant le célèbre Piñatex, à base de fibres de feuilles d’ananas et le Bananatex, à partir de fibres de feuilles de bananiers. Nul doute que cette alliance bienvenue jette un éclairage salutaire sur ses matériaux indispensables à la transition écologique de la mode qui s’imposent, de plus en plus, comme des alternatives aux matières synthétiques polluantes, issues de la pétrochimie et aux matières d’origine animale à la cruauté indéfendable.
* En second lieu, la mise en vente de deux sacs Lululemon en Mylo, c’est-à-dire en champignon. Plus exactement, en racines de champignon, le mycélium. Le mycélium est un treillis complexe de fibres souterraines assurant la croissance des champignons qui en sont les fruits. La matière innovante vegan à base de mycélium, Mylo, a été lancée en 2018 par l’entreprise américaine Bolt Threads, fondée en 2009, dans le but de créer, par biofabrication, des textiles et matériaux dérivés de micro-organismes et non plus du pétrole ou des animaux, dans une optique durable et cruelty free. J’ai amplement parlé de Mylo sur Le Boudoir Numérique pour ses collaborations avec Adidas (lire ici) et Stella McCartney (lire là), les matières issues de la biofabrication, du vivant donc, étant les matériaux d’avenir de la mode plus durables de demain.
A noter d’ailleurs que Le Boudoir Numérique a commencé à tester une paire de baskets vegan et bas carbone de la nouvelle marque française MoEa, approuvée par l’association de défense des animaux PETA. La vidéo d’unboxing est déjà tournée. Découvrez-la ci-dessous.
Cette vidée est la première étape d’un carnet de bord qui va suivre toute la durée de vie de la basket All in de MoEa, composée d’alter-cuirs de raisin, de cactus, de pomme, de maïs et d’ananas. On verra comment une basket fabriquée dans ces nouveaux matériaux innovants se comporte aux pieds, ultra actifs, de notre directeur artistique, Lionel Samain.
Jeudi, Adidas a dévoilé le fruit de sa collaboration avec l'entreprise de matériaux textiles Spinnova. Il s’agit d’un hoodie, l’Adidas Terrex HS1, un sweat à capuche fabriqué, en partie, à base de fibres de bois, à 25% plus exactement. Le reste est du coton organique. Le communiqué de presse de la marque à trois bandes précise que les fibres de bois “sont broyées mécaniquement pour éviter l'utilisation de produits chimiques nocifs” et conservent “la couleur naturelle du matériau, sans utiliser de produits chimiques de teinture ou de blanchiment”, tout en employant “également moins d'eau que le processus de teinture standard”. L’Adidas Terrex HS1 sera commercialisé en juillet prochain.
Puisqu’on parle des matériaux biosourcés, faissons un détour par le domaine de la beauté pour attirer votre attention sur la dernière collaboration, dévoilée mercredi, entre Chanel et la startup finlandaise Sulapac, spécialiste des matériaux biodégradables, alternative éco-responsable au plastique des emballages. Je connaissais déjà Sulapac car le pot d’une de mes crèmes bio Akane, compostable industriellement, est fabriqué avec des copeaux de bois par cette startup. Pour en revenir à nos moutons, le couvercle du contenant de la nouvelle crème revitalisante au camélia rouge N°1 de Chanel est composé de copeaux de bois combinés avec des écorces de graines de camélia, ce qui tombe doublement bien, puisqu’il s’agit de la fleur emblématique de Chanel et de l’ingrédient principal de la crème.
Terminons, enfin, avec l’appel à projets de l’incubateur de startups Creative Valley qui recrute sa nouvelle promotion de startups pour rejoindre son programme ADN à Station F, le campus de startups à Paris. Les candidatures autour de la fashion tech, de l'art ou de la culture sont encore ouvertes jusqu’au 20 février prochain.
Voilà, c’est tout pour cette semaine. Exceptionnellement, on ne se retrouve pas la semaine prochaine, en raison des vacances d’hiver. Mais on rattrapera notre retard dans le cinquième podcast fashion tech du Boudoir Numérique en mars.
N’hésitez pas à nous laisser vos commentaires, suggestions, infos et autres coups de cœur.
En attendant, comme le dit Monsieur Spock : live long and prosper.