#10 - Cuir et fourrure cultivés en laboratoire, tissu de liège, fibres de noix de coco ou de bananier… Que s’est-il passé de neuf en mode innovante, vegan et plus durable, pendant la pause de printemps ? Pour tout savoir, écoutez ce podcast du Boudoir Numérique (ou lisez le résumé ci-dessous).
Par Ludmilla Intravaia
On se retrouve après une pause de printemps pour parler mode innovante et plus particulièrement des matériaux de nouvelle génération, vegan et plus durables, en commençant par l’alter-cuir de cactus Desserto. L’entreprise mexicaine Adriano di Marti qui commercialise cette matière à partir des feuilles matures du cactus nopal, a connu un mois d’avril bien rempli. Tout d’abord, avec le lancement d’une ligne de sacs chez la marque américaine Everlane, friande de matériaux next gen (plus d’infos ici).
J’ai aussi repéré chez Karl Largefeld, à côté de sacs et de baskets en Desserto, un blouson de motard fabriqué dans cet alter-cuir de cactus (plus d’infos ici). C’est assez rare pour le souligner, parce qu’on voit essentiellement des articles de maroquinerie et des sneakers fabriqués dans ce type de matière. Ici, cette collection capsule de Karl Lagerfeld, dévoilée le 6 avril en collaboration avec le mannequin américain Amber Valletta, propose un perfecto, une pièce fashion très prisée des vestiaires actuels, sans exploitation animale, ce qui prouve, si cela était encore nécessaire, que la mode vegan peut-être tendance.
Adriano di Marti a également signé, en avril, un étui en Desserto pour le baume à lèvres liquide marbré Rose Perfecto de Givenchy Beauty.
Le 21 avril, j’ai reçu un communiqué de presse mentionnant que la marque américaine Saucony revisitait trois modèles de baskets, Jazz Court, Shadow 6000 et Jazz 81, en alter-cuir d’ananas Piñatex. Cette matière innovante, commercialisée par Ananas Anam, est fabriquée à partir des fibres de feuilles d’ananas que, normalement, on jette, après la récolte de ces fruits aux Philippines.
Revaloriser un déchet de la chaîne agroalimentaire est devenu un des axes d’innovation de la mode durable qui n’est pas seulement illustré par la fibre d’ananas mais aussi, par exemple, par la fibre de bananier, dont se sert une entreprise que je ne connaissais pas, Musa Fabric pour fabriquer des tissus à base végétale, toujours aux Philippines. D’ailleurs, à l’occasion de la sortie de la collection Cherish Waste d’H&M, le 21 avril, une capsule centrée, comme son nom l’indique, sur l’utilisation des déchets, j’ai découvert une autre startup qui produit de l’alter-cuir. Il s’agit de Natural Fiber Welding commercialisant, entre autres choses, le Mirum que l’on retrouve, notamment, dans la composition d’une paire d’escarpins de la collection de l’enseigne suédoise. Sur le site internet de cette entreprise américaine fondée en 2015, il est mentionné qu’elle fait appel, dans ses ingrédients, à des sous-produits d'autres industries, comme la fibre de noix de coco, résidu de la production d'eau et d'huile de noix de coco.
Toujours dans cette idée de l’utilisation des déchets, mais de raisin cette fois, la marque d’espadrilles française Payote a lancé en précommande, il y a deux semaines, sa “première espadrille en cuir fabriquée à partir de marc de raisins, de rafles et de pépins de raisins rejetés lors de la vinification”, peut-on lire sur son compte Instagram. Les livraisons de cette espadrille, prénommée Jean-Louis, en hommage au père vigneron du fondateur de Payote, commenceront en juin.
Si l’on quitte le sud de la France, où sont conçues et fabriquées les espadrilles de Payote et que l’on remonte vers la Bretagne, on tombe sur une autre marque qui m’était inconnue. Il s’agit de Bag Affair, une startup française que j’ai remarquée parce qu’elle vient d’intégrer La Caserne, un incubateur parisien dédié à la transition écologique de la mode européenne. Bag Affair, c’est une marque de sacs et d’accessoires pour femmes d’affaires qui utilise un alter-cuir maison, le CORKonLINEN. En fait, la marque privilégie les termes “textile de liège” ou “tissu de liège”, puisqu’il ne s’agit pas d’un matériau obtenu par le tannage d’une peau animale. Il s’agit d’une couche de lin sur laquelle est appliquée une tranche de liège, avec une colle naturelle, à base d’eau. Il y a, sur le site internet de cette marque, une notice explicative sur la transformation du liège en tissu. Bag Affair y mentionne, entre autres, sa volonté d’éviter le mélange de matières végétales, recyclables ou biodégradables, avec du plastique qui, lui, ne l’est pas. C’est intéressant parce que le fait que les alter-cuirs comportent une partie de matériaux pétrosourcés est une critique qui leur est souvent adressée. L’une des préoccupations de ces fabricants de matériaux de nouvelle génération va donc être de réduire la part de plastique dans leurs matières. On le voit bien avec Bag Affair.
En fait, il se passe énormément de choses en matériaux innovants, dans cette optique durable et sans exploitation des animaux, notamment en biofabrication. Ainsi, le 22 avril, le groupe de luxe LVMH a annoncé plancher, avec la maison italienne Fendi, sur un prototype de fibre de fourrure alternative, à base de kératine, cultivée en laboratoire. De son côté, le groupe Kering a participé à la levée de fonds de l’entreprise de biotechnologie VitroLabs, une entreprise américaine, fondée en 2016, qui travaille sur un procédé d'ingénierie tissulaire pour produire du cuir animal sans cruauté, par culture cellulaire. On parle ici de vrai cuir, cultivé en laboratoire, à partir de cellules animales. Dans le communiqué de VitroLabs du 4 mai qui annonce la levée de 46 millions de dollars pour développer sa première unité pilote de production de cuir cultivé, on en apprend un peu plus sur la manière dont cette matière innovante est fabriquée : “Le processus de production de cuir cultivé commence par un prélèvement unique de quelques cellules d'un animal. Celles-ci sont ensuite cultivées dans un milieu riche en nutriments. Les cellules se développent, se divisent et s'organisent en tissu cutané sans qu'on n'ait jamais besoin de retourner à l'animal. On parvient ainsi à atteindre dans la composition du matériau la complexité des peaux traditionnelles contenant des protéines qui constituent un cuir durable et luxueux après finition, et cela sans avoir besoin de constamment recourir à des animaux comme source de ces peaux. Le processus est plus durable sur le plan environnemental et plus favorable au bien-être animal que celui utilisé pour produire du cuir traditionnel.” Ainsi, dans ce cas précis, ce cuir cultivé comporterait les mêmes qualités biologiques que le cuir d’origine animale. D’ailleurs, c’est Kering qui assurera les tests de qualité du cuir cultivé de VitroLabs et ses réactions aux étapes de tannage et de finissage. A noter, enfin, pour l’anecdote, que l’acteur américain Leonardo DiCaprio, impliqué dans la lutte pour le respect de l’environnement, a également investi dans la levée de fonds de l’entreprise VitroLabs.
Bref, toutes ces matières innovantes sont les clés de l’avenir de la mode. D’ailleurs, le dernier rapport Material Innovation Initiative révèle que les investissements dans les matériaux de nouvelle génération ont doublé, dans le monde, de 2020 à 2021, passant de 425,5 millions de dollars à 980 millions de dollars. En tout, c’est 95 entreprises qui travaillent sur ces matériaux, en alternatives plus durables au cuir, à la soie, à la laine, au duvet et aux peaux exotiques. Je vous invite à télécharger ce rapport 2022 sur le site internet de Material Innovation Initiative. Il s’intitule “Rapport sur l'état de l'industrie 2021 : Matériaux de nouvelle génération”. C’est évidemment un must-read pour ceux qui s’intéressent à cette problématique.
Material Innovation Initiative est une ONG américaine dont la mission est d’accélérer le développement de matériaux de nouvelle génération plus durables et sans exploitation des animaux pour les industries de la mode, de l'automobile et des articles ménagers. En introduction de son rapport, sur son site internet, Material Innovation Initiative résume très bien “pourquoi nous avons besoin de matériaux de nouvelle génération”, en ces termes : “Les matériaux d'origine animale, en particulier le cuir, sont largement utilisés dans les industries de la mode, de l'automobile et des articles ménagers. La production de matériaux d'origine animale est à l'origine du changement climatique, de la dégradation de l'environnement, des risques pour la santé publique et de la cruauté envers les animaux. La génération actuelle d'alternatives - les synthétiques dérivés du pétrole - s'accompagne également de graves préoccupations environnementales et sociales. Nous avons besoin d'alternatives de nouvelle génération plus durables avec une esthétique et des performances optimales. Un vaste écosystème d'innovateurs se développe rapidement pour répondre à ce besoin urgent.” Si vous voulez pousser plus loin la réflexion, en plus du rapport, Material Innovation Initiative organise justement une conférence virtuelle, le 18 et 19 mai prochains.
Voilà, c’est tout pour cette semaine. On se retrouve en juin pour la revue de presse fashion tech du Boudoir Numérique.
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En attendant, comme le dit Monsieur Spock : live long and prosper.