Application Clear Fashion - "La transparence dans la mode doit devenir la norme"
Alors que Clear Fashion vient de lancer, avant-hier, un appel à sa communauté d’utilisateurs pour devenir ambassadeurs d’une mode plus éco-responsable et transparente (voir ici), Le Boudoir Numérique s’est entretenu avec Rym Trabelsi, co-fondatrice de cette application destinée à mieux choisir ses vêtements, dans le respect de l’environnement et des êtres sensibles.
Par Ludmilla Intravaia
Le Boudoir Numérique : Comment est née l’application Clear Fashion ?
Rym Trabelsi, co-fondatrice de Clear Fashion : Marguerite Dorangeon, la co-fondatrice de Clear Fashion et moi-même sommes des consommatrices engagées, dans le sens où nous cherchons à mieux consommer dans l'alimentaire, la cosmétique, etc., en achetant des produits qui ont le moins d’impact possible sur l’environnement. Un jour, nous avons eu un déclic : que se cache-t-il derrière les vêtements que nous achetons ? Comment faire pour consommer la mode de manière responsable ? Nous nous sommes mises à chercher des informations sur ce secteur pour nous rendre compte à quel point son impact était négatif sur l’environnement, les humains et les animaux et que nous ne disposions pas des moyens adéquats pour acheter de manière plus responsable. En effet, si de nombreux rapports démontrent que les consommateurs ont envie de mieux consommer, ça ne se retrouve pas encore concrètement dans une augmentation massive des actes d’achat plus écologiques sur le marché de la mode. En 2018, nous nous sommes livrées à certain nombre d’entretiens et d’enquêtes pour comprendre les raisons de cette situation et nous avons mis en lumière un problème de communication, né de plusieurs freins.
Lesquels ?
Pour 82% des personnes interrogées, le premier frein était le manque d’information. En effet, très peu de renseignements sur ce sujet arrivent jusqu’au consommateur et quand il a la volonté de s’informer, c’est très compliqué pour lui de s’y retrouver dans les différentes alternatives existantes. Quand on est en magasin, prêt à l’acte d’achat, les seules infos dont on dispose sont le prix et quelques labels inconnus qui, dans le secteur de la mode, ont moins de renommée, et donc moins de valeur pour le consommateur, que ceux de l’alimentaire, par exemple. La mention made in France peut également être affichée mais les consommateurs en tiennent peu compte, soit parce qu’ils sont mal renseignés sur cette appellation, soit parce qu’ils s’en méfient. Beaucoup de gens sont notamment au courant que le made in France peut ne représenter que la dernière étape de fabrication d’un vêtement, une broderie par exemple. Un autre frein est, de même, une énorme défiance vis-à-vis de la communication des marques sur les sujets de responsabilité sociétale. Lorsqu’une entreprise communique sur son engagement environnemental, les gens se disent que c’est du greenwashing, car ils sont beaucoup plus avertis et se font moins avoir par les techniques de marketing. Du coup, les consommateurs sont perdus, le seul moyen pour trouver des informations étant de demander conseil à des amis ou de faire des recherches sur internet. Mais le sujet est complexe, avec de nombreuses thématiques différentes, environnementales, sociétales, sanitaires, etc., sans compter la maltraitance des animaux et les gens ont vraiment du mal à analyser tout ça. C’est pourquoi nous avons décidé de co-construire une solution directement avec eux.
Clear Fashion, c’est quoi exactement ?
C'est une application qui vise à apporter à ses utilisateurs des informations simplifiées, claires et comparables sur les marques et vêtements de leur choix, sur quatre thématiques, l'environnement, le social, le bien-être animal et la santé sur lesquelles les niveaux d’engagement des entreprises sont notés. En juin 2018, nous avons créé un prototype et commencé à rassembler notre communauté. Au début, nous étions 20, jusqu’à être 15.000 personnes qui testent l’application pour l’améliorer en continu, qui nous aident à analyser les données pour évaluer si une marque est éco-responsable ou à identifier de nouveaux critères et fonctionnalités à y ajouter, afin que notre solution soit accessible au plus grand nombre. Ainsi, le 15 mai dernier, à la demande de nos utilisateurs qui souhaitent savoir où les vêtements sont fabriqués, nous avons effectué une mise à jour de l’application pour y indiquer les lieux de confection mais aussi de nouveaux critères sur la durée de vie du vêtement : Est-il réparable ? Un service de garantie est-il opéré par la marque ? Propose-t-elle un service de location ? De même, nous renseignons dorénavant le nombre de collections produites par an par les marques car certains utilisateurs préfèrent acheter les produits de marques de slow fashion, plutôt que de fast fashion qui favorisent une surconsommation inutile de la mode. Aujourd’hui, près de 130.000 personnes ont téléchargé notre application, lancée en septembre 2019. Et si la première fonctionnalité de Clear Fashion est d’informer, c’est aussi un outil pour s’engager.
Que voulez-vous dire par là ?
C’est-à-dire que sur l’application, les utilisateurs ont la possibilité de suggérer à une marque de se référencer. Fort de ces demandes qui prouvent à quel point ce sujet est important pour leurs clients, Clear fashion contacte la marque en question pour lui expliquer la démarche à suivre pour se faire évaluer. Plus les consommateurs demandent, plus les marques s’engagent, on le voit très clairement. Cela montre bien le pouvoir des consommateurs. Et puis, les marques peuvent nous contacter de manière volontaire pour se faire évaluer et être plus transparentes auprès de leur communauté. Depuis notre lancement, 250 marques ont demandé à se référencer. Pour l’instant, 124 marques sont déjà évaluées sur notre application.
Comment effectuez-vous cette évaluation ?
Les 15 marques les plus recherchées par notre communauté font l’objet d’une évaluation de notre part, qu’elles y participent ou pas. Pour cela, nous nous livrons à un travail d’investigation, sur base des données publiques, sur internet notamment. Quand les marques nous contactent, nous leur envoyons un questionnaire à remplir sur l’ensemble de leurs pratiques de conception, de fabrication, de contrôle, etc. La marque fournit des justificatifs et des preuves de tiers indépendants, auditeurs, labels et autres acteurs comme PETA (association de défense des droits des animaux Pour une Ethique dans le Traitement des Animaux – voir ici, NDLR), dont le travail de vérification sur le terrain confère de la fiabilité à leurs déclarations.
Pendant la crise du Coronavirus, vous avez continué à sonder l’opinion de votre communauté, notamment sur les livraisons en période de confinement, sondage qui a donné lieu à une lettre ouverte à l’intention des commerçants (voir ici). Avez-vous perçu, en raison de cette pandémie de Covid-19, une évolution des mentalités vers une volonté de consommer de façon plus éco-responsable ?
On parle souvent de bouleversement écologique et de réchauffement climatique mais quand on ne le vit pas directement, on ne le ressent pas avec la même urgence. Avec cette crise sanitaire, les gens se sont rendu compte que notre société pouvait changer du jour au lendemain et que tous nos choix sont importants. Ils ont commencé à faire du tri dans leur garde-robe, à chercher à acheter plus local, à soutenir des marques éco-responsables, bref à changer leurs pratiques de consommation. Beaucoup de gens se disent que ce genre de crise pourrait arriver à nouveau et qu’un mode de vie basé sur la décroissance pourrait mieux leur convenir que ce qu'ils vivent maintenant. D’après moi, cette crise a été un moment de prise de conscience assez fort, où les gens se sont rendu compte qu’il est possible de continuer à prendre du plaisir en achetant de beaux vêtements, tout en veillant à valoriser les acteurs citoyens qui vont créer le monde meilleur de demain.
Un monde de demain où la transparence de la mode serait de mise, en somme ?
Exactement. Aujourd’hui, ça semble logique de savoir d’où vient la viande que vous mangez au restaurant ou la tomate que vous achetez en magasin. Mais dans la mode, ce n’est pas encore le cas. Dans cinq ans, je voudrais que l’étiquette de chaque vêtement permette de connaître son impact carbone, d’où proviennent ses matières, où il a été produit, etc. Nous sommes optimistes car les choses évoluent dans le bon sens. Une initiative comme la nôtre bouleverse le secteur de la mode, le fait bouger. Les marques se rendent bien compte que la transparence devient un sujet incontournable, qu’elles vont devoir changer leurs manières de fabriquer et de communiquer sur leurs pratiques, en étant sincères sur leur démarche. Et que si elles doivent s’améliorer, qu’elles le disent tout simplement, qu’elles ne s’en cachent pas. A l’heure actuelle, certaines marques n’ont pas la connaissance de l’ensemble de leur filière de production et ce n’est pas grave, elles feront mieux demain. Si une entreprise ne sait pas, cette année, où son coton a été produit, l’objectif est de le savoir l’an prochain. L’important est que la transparence dans la mode devienne la norme pour apporter le plus d’information possible aux consommateurs. Dans ce contexte, nous recevons de plus en plus de demandes pour ouvrir l’application à l’étranger et nous serions ravis d’offrir la possibilité à des utilisateurs en Belgique, en Allemagne, en Angleterre ou même au Japon, de s’informer sur ce qu’ils veulent acheter, grâce à notre solution. Pour ce faire, nous avons besoin de l’engagement de nos utilisateurs, qu’ils nous aident à améliorer l’application, qu’ils la partagent autour d’eux, qu’ils poussent les marques à s’engager car c’est ça qui fait vivre Clear Fashion.
* Le site internet de Clear Fashion est ici. Clear Fashion recherche des ambassadeurs pour l’aider dans sa mission (organisation d'actions physiques ou digitales, apéros, master-classes sur la mode responsable, etc.). Le formulaire d’inscription est là.
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