"Pour accélérer sa transition durable, la mode doit utiliser les outils technologiques"
Souvenez-vous, Le Boudoir Numérique vous a fait découvrir la startup De Rigueur en 2019 avec l’interview de son directeur artistique, Cyril Bertrand. A l’époque, l’entreprise française, créée en 2014 par Adrien Deslous-Paoli, se présentait comme “le premier bureau d’étude de la fashion tech” (lire ici). Mais De Rigueur a bien grandi et compte dorénavant plusieurs entités rassemblées dans le même groupe : .Tech (prononcez point tech), .Green, .Smart et .Ventures, un studio de startups digitales, lancé en avril dernier. A l’heure où l’Union Européenne a dévoilé, le 30 mars, sa stratégie pour des textiles durables et circulaires (lire ici) et que le troisième volet du dernier rapport d’évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) vient de livrer, le 4 avril, ses solutions pour diminuer notre impact sur le réchauffement de la planète, attardons-nous sur l’entité .Green, en compagnie d’Anna Dechoux, son responsable technique développement durable, de même qu’Alessandro Ferrero, head of international sales chez De Rigueur.Group.
Par Ludmilla Intravaia
Le Boudoir Numérique : Lancée en septembre 2020, .Green est l’entité dédiée au développement durable de De Rigueur.Group, accélérateur d'innovation au service des marques de la mode et du luxe. Quel est le rôle à jouer par la technologie dans une mode plus durable ?
Anna Dechoux, responsable technique développement durable chez De Rigueur.Green : Pour nous, le développement durable est une finalité, pas une identité en soi. Et la technologie est un outil pour arriver à cette finalité. D’autres outils existent, comme la slow tech, par exemple. Mais dans le cas précis de la mode, il faut prendre en considération et bien comprendre la nature même du secteur du textile qui, loin d’être slow, est devenu ces dernières années un géant industrialisé, délocalisé et mondialisé, un acteur plus que jamais technologique. Pour accélérer sa transition durable, la mode doit s’adapter en utilisant les outils qui sont les siens, les outils technologiques.
A quels outils tech faites-vous appel chez .Green ?
Anna Dechoux : Un outil fondamental quand on parle d’environnement est l’analyse de cycle de vie (ACV). Cette méthode consiste à évaluer les impacts environnementaux qui vont découler des différentes étapes de vie d’un produit, de ses matières premières, à sa production, sa distribution, son utilisation, jusqu’à la fin de son usage. Changement climatique, consommation d’eau ou en énergie fossile…, les indicateurs d’impact environnemental sont nombreux, chacun témoignant d’une pollution spécifique. L’ACV est un outil fondamental car il nous rappelle que toute occupation, toute production entraine un coût, négatif ou positif. Le but de l’analyse étant de permettre à l’entreprise de tendre vers la neutralité ou un impact positif, en mettant en place des actions pertinentes sur les différentes étapes du cycle de vie.
Alessandro Ferrero, head of international sales chez De Rigueur.Group : Par exemple, le développement de tissus innovants anti-taches et anti-odeurs m’apparait comme un moyen intéressant de minimiser notre impact environnemental. Si les vêtements se tachent moins, on doit moins les entretenir, moins les laver et on consomme moins d’eau.
Anna Dechoux : L’impact des lavages peut, en effet, être très important, dépendant des matières utilisées. De plus, outre le fait de disposer de vêtements qui s’entretiennent plus facilement et qui durent plus longtemps, si ces derniers étaient mieux adaptés à notre morphologie, nous pourrions moins produire et moins gaspiller. Je pense notamment aux possibilités offertes par le scan 3D qui permet de créer des vêtements sur mesure, répondant totalement à nos attentes. Juste en utilisant son smartphone, on peut scanner la morphologie de son corps, autant de données qui sont employées par une entreprise comme Unspun, par exemple, pour fabriquer des jeans sur mesure, comme le ferait un vrai tailleur. Le scan 3D est aussi pratique pour les plateformes d’achat en ligne, où un algorithme nous propose telle taille ou telle coupe, en fonction des data récoltées.
Puisque vous évoquez là l’intelligence artificielle, quelle est l’utilité de cet outil technologique pour une mode plus durable ?
Alessandro Ferrero : L’intelligence artificielle intervient à tous les niveaux de la supply chain. En amont, dès la conception du produit jusqu’à sa distribution, du forecasting à la qualité, par exemple. En fait, l’intelligence artificielle permet de monitorer toutes les étapes de la suply chain, au sens large. Une des grandes problématiques de la mode, qu’il s’agisse du mass market ou du luxe, c’est la gestion des invendus. Comment disposer de prévisions exactes pour ne pas surproduire ? Avant, les forecasts se faisaient sur la base des ventes des saisons précédentes et des datas obtenues auprès des détaillants et des consommateurs. Mais la marge d’erreur était très importante. Grâce à l’intelligence artificielle et de la collecte de données en temps réel, les prévisions sont plus précises, la planification de la production plus judicieuse, la gestion des stocks plus raisonnée. On évite la surproduction, tous les articles jetés et brulés, toutes ces choses qui ne sont pas récupérables car souvent fabriquées dans des matériaux non recyclables, non biodégradables.
Anna Dechoux : L’intelligence artificielle permet également de minimiser les pertes, par exemple, lorsqu’elle est intégrée aux machines de production, afin d’identifier, à la source, d’éventuels défauts dans des textiles ou des cuirs. Les images captées par des caméras installées sur la chaine de production sont analysées par des intelligences artificielles entrainées à reconnaitre les défauts des matériaux, limitant ainsi les risques de produire des articles qui finiraient en invendus. Pareil pour la conception assistée par ordinateur. Au lieu de créer des prototypes manuellement, avec des tissus déjà produits, la CAO permet de réaliser des modèles en 3D, virtuellement, en identifiant directement les problèmes de taille, de coupe, de tombé, etc. Et ça, c’est impressionnant car si un prototype qui va devenir une grande série d’articles est mal pensé, qu’il possède le moindre petit défaut, derrière, c’est des milliers d’unités qui ne seront pas choisies en magasin, face à la concurrence de meilleures offres. Ce type d’outils permet de réduire les erreurs, les gaspillages, bref, de produire au plus juste.
D’après vous, la mode va-t-elle assez vite pour mettre en œuvre sa transition écologique ?
Face à l’urgence d’agir pour la planète, on peut toujours considérer que les choses ne vont pas assez vite. Mais nous ne posons pas un regard punitif sur les marques de mode, dont certaines avancent plus vite que d’autres, dans un secteur où les changements sont parfois lents à s’imposer. Nous, justement, notre raison d’être, c’est d’accompagner, de faciliter l’accélération des entreprises qui ne savent pas comment accomplir cette transition ou qui jugent qu’elles y travaillent trop lentement. Le fait est que nous devons tous arriver à un certain taux d’émissions, nous courrons tous vers la même ligne d’arrivée, vers la même finalité de durabilité, de soutenabilité. Je ne dirais donc pas que c’est la mode qui ne va pas assez vite. C’est le monde.
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