"Les outils numériques comme la FFU sont utiles aux jeunes créateurs"
Depuis trois ans, 6000 jeunes créateurs et acteurs des métiers de la mode se retrouvent sur le groupe Facebook de la French Fashion Union, afin de s’échanger bons tuyaux et petites astuces pour s’en sortir dans cet univers parfois fermé. Alors qu’ils planchent sur la nouvelle plateforme de la FFU, dont le lancement aura lieu en décembre, les créateurs de cet espace d’entraide et de partage, Esther et Morgan Bancel, en disent plus long au Boudoir Numérique sur la philosophie de leur mouvement ayant “pour vocation d’aider tous les jeunes professionnels de la mode à réaliser leurs premières fois”. Enfin, n’hésitez pas à faire un petit détour vers notre série de mode “L’élégance bousculée”, consacré à la marque du couple Bancel, Esther Bancel.
Par Ludmilla Intravaia
Le Boudoir Numérique : Vous avez fondé la French Fashion Union, en 2016, sous forme d’un groupe Facebook. La FFU, c’est quoi ?
Morgan Bancel, co-fondateur de la French Fashion Union : La FFU est un mouvement qui a pour vocation d’aider tous les jeunes professionnels de la mode à réaliser leurs premières fois. La première fois qu'on cherche un fournisseur ou un atelier, qu’on participe à un salon ou qu’on lance une collection, on est toujours un peu perdu. Or, il y a plein de gens qui ont déjà vécu ces expériences et qui pourraient en aider d’autres, en leur expliquant comment ont fait et en leur apportant des petites astuces. Nous, on s’est réuni à 6000 personnes dans notre groupe Facebook, pour s’entraider et faire au mieux toutes ces premières fois. Dans la FFU, on trouve en majorité des jeunes créateurs de mode mais aussi toute la galaxie des professionnels qui gravitent dans ce milieu, les stylistes, modélistes, les ateliers, des consultants en communication, des photographes, des journalistes, etc.
Quelles sont les problématiques rencontrées par les jeunes professionnels qui débutent ? En quoi les outils numériques comme la FFU leur sont-ils utiles ?
Comment vendre et distribuer, monter son plan de communication, financer les débuts de sa marque, créer un business plan cohérent et stable, se lancer à l’international, choisir entre vente en B to B, en wholesale ou en direct…, de nombreuses questions se posent. Dans ce contexte, les outils numériques sont très utiles aux jeunes professionnels pour une raison principale : le manque d’argent. On doit pouvoir se débrouiller pour accéder à l'information ou aux experts et, dans ce contexte, le digital permet d’y arriver, pour trois fois rien, moyennant un peu d'apprentissage et d'expérience. C'est exactement la raison pour laquelle nous avons créé la FFU, sur forme d’un groupe Facebook, par ailleurs en train d’évoluer vers une plateforme en cours de construction, destinée à être mise en place pour décembre. Si nous avions voulu créer une association, il nous aurait fallu un lieu et de l'argent pour l’équiper, nous n’aurions pas pu le faire. Et l’endroit aurait dû être immense pour accueillir autant de personnes. Aujourd'hui, le digital nous permet d'être 6000 à partager des informations de manière instantanée, de pouvoir agir très vite, la notion de vitesse étant importante pour un jeune créateur qui se doit d’être réactif. Si nous devions tous nous rejoindre dans un lieu, nous ne pourrions le faire qu’une fois par mois, par exemple, ce qui entrainerait un temps de latence énorme. Le numérique nous permet de faire face aux deux exigences auxquelles sont confrontés les jeunes créateurs : travailler vite, sans moyens financiers.
Le monde de la mode est-il fermé ou plutôt prêt à aider les jeunes pousses qui viennent frapper à sa porte ?
La mode a longtemps été un monde fermé et l’est encore mais les choses changent peu à peu. Quand nous avons créé la FFU, personne n’y croyait. Mais forts de notre volonté de collaborer avec les autres, nous sommes restés sur notre conviction que nous n’avions pas peur de partager nos informations, nos contacts, nos techniques, nos astuces et nos tactiques, si nos interlocuteurs souhaitaient nous rendre la pareille. Je comprends que les gens ne veuillent pas donner des contacts avec lesquels ils travaillent depuis trente ans. Je respecte cette attitude mais ce n’est pas notre état d’esprit. Nous pensons que si je donne une astuce, j’en recevrai dix. Alors, autant en donner une. Nous avons voulu créer une communauté qui nous ressemblait et partageait cette façon de voir. Nous nous sommes dit que nous n’étions pas les seuls au monde, qu’il devait y en avoir d’autres comme nous, quelque part. Nous sommes donc partis à leur recherche, en agrégeant 10, 20, 150, 1000 personnes et puis un jour, on a été 3000. C’est à ce moment-là que notre démarche a attiré l’attention de personnes comme Frédéric Maus (directeur général de WSN, société organisatrice, entre autres, des salons professionnels Who’s Next et Première Classe, à Paris, NDLR – lire son interview, ici) ou Pierre-François Le Louët (président de la Fédération française du prêt-à-porter féminin, NDLR) qui, intéressés par cette nouvelle manière d’appréhender l’entraide dans la mode, ont proposé de nous soutenir.
Esther Bancel, co-fondatrice de la FFU : Notre philosophie est partagée par la nouvelle génération qui arrive actuellement sur le marché. Nos partenaires ont bien compris que ces jeunes créateurs n’ont plus envie de faire les choses, tout seuls, dans leur coin et que, si c’est comme cela que les choses vont se passer à l’avenir, ils ont envie d’en être, à nos côtés. Les mentalités évoluent et la mode devient de moins en moins cloisonnée. Nous sommes arrivés au bout d’une phase et un changement se profile à l’horizon.
En septembre dernier, vous avez participé à Impact, l’événement du salon Who’s Next, dédié à la mode éco-responsable. Percevez-vous chez les membres de la FFU un intérêt pour la mode durable ? On peut voir, notamment, sur votre groupe Facebook, des annonces pour dénicher des tissus répondant à des normes éco-responsables spécifiques…
Morgan Bancel : Pour nous, la durabilité est un prérequis à l’exercice de notre métier. Aujourd’hui, les jeunes créateurs qui arrivent sur le marché ont totalement intégré dans leur chaîne de valeur des processus qui respectent l'environnement et les gens avec qui ils travaillent. Le postulat de la FFU étant la collaboration, nous faisons bien entendu attention les uns aux autres. Par définition, on est comme ça et on ne changera pas.
Un outil numérique comme la FFU a-t-il un rôle à jouer dans la mode durable, par exemple pour aider les jeunes créateurs à trouver des chutes de tissus ?
Esther Bancel : Oui, tout à fait. Il y a encore peu de temps, une grande maison de couture a posté une annonce sur la FFU, pour inviter nos membres à venir vider ses stocks de tissus, de boutons et autres articles de mercerie. Très régulièrement, nous établissons des partenariats avec des entreprises pour que les jeunes créateurs puissent profiter, la plupart du temps gratuitement, de leurs tissus inutilisés. Cette démarche permet de garder, dans le système de production, des tissus qui n’auraient pas servis et auraient été détruits, alors que là, ils vont être utilisés par des créateurs qui, de plus, n’auront pas à faire fabriquer les leurs. De cette manière, on enraye le processus de sur-fabrication d’articles de mode et de destruction des invendus, pour éviter le gaspillage textile.
Les jeunes créateurs font aussi appel aux outils digitaux pour co-créer leurs collections de mode, en amont, en collaboration avec leur communauté de clients. Cette tendance à la personnalisation est-elle bénéfique à la mode durable ?
Morgan Bancel : Evidemment, d’autant plus que les gens qui optent pour la co-création, jettent aussi souvent leur dévolu sur la précommande, en demandant au client final de s’engager à acheter le produit, avant même qu’il ne soit fabriqué. Cette démarche a tout son sens, en termes d'éco-responsabilité et d'éco-conception, puisqu’on ne va produire que ce qu'on va vendre, pile poil ce dont le marché a besoin, sans stock supplémentaire qui devrait être brulé, jeté ou donné.
C’est ce que vous faites avec la marque Esther Bancel que vous lancée ensemble ?
Esther Bancel, co-créatrice de la marque éponyme : Nous pratiquons, en effet, la précommande, en produisant exclusivement, à la demande de nos clients, des collections made in France, dans des ateliers locaux, où le savoir-faire des artisans est préservé et valorisé. Ainsi, chaque fois qu'une pièce sort de notre atelier, nous savons qu’elle va faire le bonheur d'un client et qu’elle ne pas rester dormir chez nous, dans un stock, voire pire, être détruite. Le consommateur l’aura vraiment voulue et donc, la gardera avec affection, plusieurs années, dans sa garde-robe, plutôt que la jeter au bout de quelques mois. Ces nouvelles façons de concevoir la mode changent complètement notre relation à la consommation du vêtement, dans une optique plus durable, respectueuse de l’environnement et des êtres sensibles. C’est un des buts que nous poursuivons avec notre marque et avec la FFU.
* La plateforme internet de la French Fashion Union sera lancée en décembre 2019. Plus d’infos ici. Le groupe Facebook de la FFU est là.
* Le site internet de la marque Esther Bancel se trouve ici. Découvrez l’édito du Boudoir Numérique consacré à la marque Esther Bancel : “L’élégance bousculée”.