"Les marques qui s’obstinent à utiliser la fourrure sont une poignée de retardataires"
3/3 - Dernière partie de l’interview d’Anissa Putois, représentante de l’association PETA (Pour une Ethique dans le Traitement des Animaux) sur les matières de la mode issues de l’exploitation des animaux. Après la laine (voir ici) et le cuir (voir là), focus sur la fourrure.
Par Ludmilla Intravaia
Le Boudoir Numérique : L’année 2021 s’est terminée sur des annonces de taille pour la lutte contre l’exploitation animale dans la mode, telle le 24 septembre, la décision du groupe de luxe français Kering d’arrêter l’utilisation de la fourrure animale, dans toutes les collections de ses maisons, à partir de la saison automne 2022. Le 2 décembre dernier, Elle International a mis fin à la promotion de la fourrure animale dans ses 45 magazines papiers, leurs sites web et réseaux sociaux. Comment avez-vous accueilli ces nouvelles ?
Anissa Putois, chargée de communication chez PETA France : Pour PETA, c’est l’aboutissement d’une lutte de longue haleine. Nous avons été ravis des avancées de cette deuxième moitié de l'année 2021. Nous faisions campagne depuis très longtemps pour pousser Kering à arrêter la fourrure. Actionnaire de ce groupe, PETA Etats-Unis a participé à l’assemblée des actionnaires pour questionner ses dirigeants sur l’utilisation des matières issues de l’exploitation des animaux. L'actrice britannique Gillian Anderson a écrit une lettre au PDG de Kering, François-Henri Pinault, pour l’appeler à adopter une politique interdisant la fourrure au sein de son groupe. Cette annonce de Kering a envoyé un message symbolique puissant : la société et les consommateurs évoluent vers plus d’éthique et les marques qui s’obstinent à utiliser la fourrure sont vraiment une poignée de retardataires. L’annonce du Elle a également été retentissante, car même si le Vogue et le Cosmopolitan britanniques, ainsi que InStyle USA, avaient déjà banni la fourrure, ici, il s’agit d’un grand groupe de presse mode et luxe qui s’engage dans ce sens. Le Elle s’est bien rendu compte que ses lecteurs et lectrices ne voulaient plus voir de fourrure dans ses pages et, par souci d'éthique et d'écologie, a décidé de ne plus en faire la promotion. Chez Peta, c'est ce pour quoi on se bat et qu'on travaille depuis très longtemps.
Le 30 novembre 2021 a vu la promulgation de la loi visant à lutter contre la maltraitance animale qui a mis fin, en France, à l’élevage pour leur fourrure des visons d’Amérique, avec pour effet la fermeture immédiate du dernier élevage de visons existant sur le territoire et prohibe également la mise en place, à l’avenir, de tout nouvel élevage d’animaux sauvages, tels que le renard ou le chien viverrin. Mais qu’en est-il des lapins ? On doit notamment à l’association française de défense des animaux L214 une enquête mettant en évidence, en 2017, la cruauté de l’élevage et de l’abattage des lapins Orylag. Les lapins relevant du ministère de l’agriculture et de l’alimentation et non pas du ministère de la transition écologique, rien n’a bougé pour eux avec cette nouvelle loi, c’est ça ?
Malheureusement, la loi ne s'étend pas aux espèces domestiques utilisées pour leur chair. C'est le cas des lapins, comme les lapins orylag exploités pour leur chair et leur fourrure. Ce sont des lapins génétiquement modifiés, une race créée pour obtenir une chair mangeable et une fourrure très douce, utilisée par les marques de luxe. Les lapins orylag sont élevés dans des cages exiguës et insalubres, dans des conditions déplorables et abattus de manière violente, parfois sans être suffisamment ou proprement étourdis, comme l’ont montré les enquêteurs de L214. Tout ça pour fabriquer de la fourrure, alors qu’elle n’a plus du tout la côte et qu’elle est abandonnée par de plus en plus de marques. Mettre fin à la cruauté des élevages de lapins orylag mais aussi de lapins angoras fait partie de nos objectifs de campagne.
En novembre 2021, en collaboration avec PETA Royaume-Uni, la marque française Ecopel a proposé au ministère de la défense britannique de lui fournir gratuitement, jusqu’en 2030, une fausse fourrure d’ours, développée par ses soins, afin de remplacer celle utilisée pour fabriquer les bonnets à poils de la garde de la reine d'Angleterre. On tue encore des ours, de nos jours, pour ces couvre-chefs ?
Oui. Des ours noirs du Canada sont chassés pour ces coiffes. On n'élève pas ces animaux, comme c'est le cas de 80% de la fourrure employée dans la mode, on les massacre dans la nature, sans règles, ni restrictions sur leur abattage. Ca peut être des mères ours qui ont des petits, les oursons mourant de faim sans elles. Cette chasse détruit des familles entières. C'est totalement barbare.
Vous attendez la réponse du ministère de la défense britannique ?
Oui. Puisque cette fausse fourrure a passé tous les tests internes du ministère et répond à tous les critères techniques que doit remplir la matière de ces bonnets, il n’y a aucune raison de ne pas avoir recours à ce matériau synthétique. Le premier ministre britannique Boris Johnson a d’ailleurs soutenu notre campagne en affirmant que cette fausse fourrure était une bonne idée, si elle pouvait contribuer à sauver des ours. Dans une société qui s'oppose de plus en plus à la fourrure et à la cruauté envers les animaux, nous avons bon espoir de remporter une victoire prochainement.
La fausse fourrure est critiquée par les défenseurs de la fourrure d’origine animale comme étant néfaste à l’environnement, parce que cette matière synthétique est le produit d’une industrie pétrochimique polluante. Qu’en pensez-vous ?
C'est un argument qui revient souvent pour faire croire que la fourrure animale est l’option la plus écologique. Mais ce n’est pas vrai. Tout d’abord, parce que de nombreux producteurs de fausse fourrure travaillent avec des matières recyclées et que d’autres, comme Ecopel, développent de la fausse fourrure innovante plus durable, à partir de déchets de mais, par exemple. Et ensuite, même s’il ne s’agit en aucun cas de faire la promotion de la pétrochimie, si on compare la fourrure animale à la fausse fourrure plastique de base, la fourrure animale demeure beaucoup plus polluante. Outre qu’elle n’est pas éthique, puisqu’elle fait souffrir les animaux, la fourrure n’est pas écologique. Elle est traitée avec un cocktail de substances chimiques, afin qu’elle ne pourrisse pas, exactement comme toutes les peaux animales qui, liées à l’élevage, impliquent énormément de pollution. Cet argument fait partie de campagnes de marketing un peu désespérées destinées à redorer l’image de ces matières qui n’ont, en fait, rien de nobles, alors qu’on voit bien que de plus en plus de gens s’en détournent pour des alternatives éthiques, plus écologiques.
Justement, en novembre dernier, la créatrice de mode Stella McCartney a inauguré, à Glasgow, pour la COP 26, une exposition sur l’innovation comme adjuvant pour une mode plus durable et respectueuse des êtres sensibles, afin de sensibiliser les décideurs politiques de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques au potentiel de nouvelles matières comme le mycélium, les racines des champignons, par exemple (plus d’infos dans cet article du Boudoir Numérique). PETA a d’ailleurs participé à la marche pour la justice climatique de la COP 26. Pourquoi ?
Pour lutter contre le changement climatique, il faut qu'on change nos habitudes, il faut qu'on mange vegan et qu'on se distancie de tout ce qui est en rapport avec l'élevage, parce qu'on sait que c'est extrêmement polluant. Pour la mode aussi, il faut qu'on opte pour des matières vraiment écologiques qui ne passent pas par l'élevage et l'exploitation animale. Nous nous sommes joints à cette manifestation, parce que les dirigeants n'en parlaient pas assez pendant la COP 26.
“Le futur de la mode et de notre planète est cruelty-free”, a affirmé Stella McCartney, à l’occasion de la COP 26. J’ai l’impression que, grâce à des prises de position comme la sienne dans des événements d’une telle ampleur médiatique, l’opinion publique commence à faire le lien entre la destruction de l’environnement et la souffrance animale générée par la mode. Est-ce positif pour la lutte contre l’exploitation animale ?
C'est très positif parce que nous vivons dans une époque où le changement climatique et le respect de l'environnement sont devenus des sujets très importants, surtout aux yeux des jeunes générations. Nous aimerions que la cause animale soit aussi importante en soi mais quelle que soit la raison finalement, nous sommes contents si cela signifie que les gens comprennent la nécessité de passer à des matières alternatives qui n’exploitent pas les animaux. Chez PETA, notre focus, c'est les animaux mais tout va de pair, les animaux, l'environnement, les travailleurs également. En protégeant les animaux, on protège la planète et souvent aussi les droits des travailleurs.
Au regard de l’actualité 2021, riche en bonnes nouvelles pour la cause animale, comment envisagez-vous l’avenir ?
Il faut être réaliste, les animaux continuent de souffrir. C'est la raison pour laquelle nous devons continuer à sensibiliser, à informer et à lutter pour pousser les gouvernements et les marques à évoluer car chaque jour est synonyme de souffrances terribles pour les animaux. Mais les grosses victoires de 2021, une année pourtant difficile en raison de la pandémie, me donnent l’espoir que nous en remporterons de nombreuses autres en 2022.
* Lisez la première partie de l’interview d’Anissa Putois : “Avec la laine, on est très loin de l’image idyllique du mouton tondu gentiment dans son pré”.
* Lisez la deuxième partie de l’interview d’Anissa Putois : "En l’état actuel de la traçabilité de la mode, on ne sait jamais d’où vient une peau".
* Pour vous donner une idée des alternatives possibles aux matières issues de l’exploitation animale, plongez-vous dans le dossier spécial du Boudoir Numérique sur la mode et la beauté vegan ici.