Le boudoir numérique

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Sylvia Heisel : "Pourquoi ne pas imprimer de la fast fashion biodégradable?"

Sylvia Heisel, à Paris, le 22 septembre 2018 (©Le Boudoir Numérique)

Figure incontournable de la fashion tech américaine, Sylvia Heisel a présenté, à Paris, en septembre, un prototype de robe compostable en 3D printing. Avec Le Boudoir Numérique, la créatrice de mode revient sur son parcours dans l’impression 3D et le rôle à jouer par cette technologie dans la fabrication de vêtements éco-responsable. English version of the interview, below the french one, in this article.  

Le Boudoir Numérique : Vous êtes une créatrice de mode spécialisée en impression 3D. Qu’est-ce qui vous a amené à utiliser cette technologie dans votre travail ? 

Sylvia Heisel, designer fashion tech : J’ai débuté ma carrière dans la mode traditionnelle. J’avais ma propre marque aux Etats-Unis, avec des collections haut de gamme, chaque saison, principalement des robes de soirée. Au fil du temps, je me suis rendue compte que, malgré notre volonté d‘imaginer de nouvelles choses, nous refaisions toujours les mêmes vêtements. Les clients et les détaillants ne voulaient rien de neuf. Ce n’était plus inspirant. Il y a une dizaine d’années, j’ai senti que le monde changeait et qu’il fallait s’adapter. Le moteur de cette transformation étant la technologie, je m’y suis de plus en plus intéressée, en assistant à des conférences, en étudiant les liens entre les industries de la mode et de l’électronique, jusqu’à concevoir des accessoires de technologie portable comme des montres connectées. Cette démarche m’a amenée, il y a cinq ans, vers l’impression 3D. Avec cette technologie, nous en sommes arrivés à un point où nous pouvons réellement commencer à faire des vêtements. 

Sur votre site internet, on peut voir un sac, un manteau et des robes, fabriqués par impression 3D. Pourrais-je m’acheter une robe de ce type dans votre laboratoire de fashion technology ? 

Pour l’instant, nous ne produisons, ni ne vendons de vêtements en 3D printing, destinés au grand public. Nous réalisons des prototypes et des pièces uniques pour des marques et des designers ou nous les assistons dans leur propre conception. Nos pièces ont été présentées, dans le monde entier, lors d’événements de mode ou de tech, comme le CES en 2016. Nous faisons également de la formation en 3D printing, nous organisons des workshops. Nous voulons aider les marques à développer l’impression 3D comme une manière alternative de fabriquer des vêtements et dorénavant, à utiliser le 3D printing pour soutenir la mode éco-responsable. Chaque nouvelle robe est un pas supplémentaire dans notre exploration de cette technologie, à l’instar de celle que nous avons spécialement conçue pour Première Vision Paris. 

“Dress #4 for compostable fashion” de Sylvia Heisel, au Salon Première Vision Paris, le 20 septembre 2018 (©Le Boudoir Numérique)

Justement, les visiteurs du salon de Villepinte ont pu découvrir ce prototype de robe, en septembre dernier, dans l’espace Smart Square, dédié à la fabrication respectueuse de l’environnement (lire l’article du Boudoir Numérique ici). Quelle est la particularité de cette robe? 

Cette robe est fabriquée en bioplastique biodégradable, un matériau dérivé du maïs. Contrairement au plastique dérivé du pétrole qui prend des milliers d’années à se dégrader dans l’environnement naturel, le bioplastique que nous utilisons se dégrade beaucoup plus rapidement, dans les deux ans. Composté, il se mêle à la terre. Notre bioplastique est produit au Kansas et transformé en filaments par l’entreprise WillowFlex en Allemagne. Ce sont ces filaments qui ont été utilisés pour fabriquer notre robe en impression 3D, par ailleurs sans émission de déchets annexes, puisque nous n’imprimons que les pièces nécessaires à l’assemblage du vêtement. 

Peut-on dire que votre robe est compostable ?

Tout à fait. Notre robe, vous pourriez littéralement la mettre dans le compost de votre jardin, avec les épluchures de légumes de la cuisine et elle disparaitrait en peu de temps. Nous avons testé un échantillon dans le compost de notre jardin. En un an, il avait rétréci de moitié. Certes, il y encore de nombreux problèmes à surmonter. Vous ne pouvez pas nettoyer cette robe, par exemple. Or, ce genre de bioplastique a tendance à tout absorber, à s’imprégner des odeurs, notamment. De plus, le matériau n’est pas assez flexible pour être réellement confortable. Nous expérimentons donc tout le temps, en suivant l’évolution des matériaux, en recherchant les plus adaptés à nos besoins, comme on le ferait avec des tissus, finalement. Nous n’en sommes encore qu’aux balbutiements de cette technologie mais ce que j’aimerais, c’est imprimer, à grande échelle, des vêtements de fast fashion que l’on puisse composter. 

Face aux effets dévastateurs sur l’environnement du renouvellement ultra rapide des produits de la fast fashion, la tendance montante est la slow fashion, des vêtements durables, moins démodables, à consommer plus modérément. Vous, vous proposez l’alternative d’une fast fashion compostable en impression 3D ?  

Moins consommer, de manière plus durable, est une solution fantastique mais je ne suis pas certaine qu’elle soit tout à fait réaliste dans le domaine de la mode. Comment dire à des jeunes filles qui, par exemple, viennent d’accéder au pouvoir d’achat, qui on envie d’une mode dans l’air du temps et ne sont pas nécessairement bien renseignées sur la fabrication respectueuse : ne faites pas de shopping, n’achetez un vêtement que si vous êtes certaines de sa qualité, afin de le porter longtemps. Je ne sais pas si elles seront sensibles à ce message qui peut leur paraître trop sérieux. Par contre, pourquoi ne pas imprimer des vêtements non nuisibles à l’environnement qu’elles puissent acheter à petit prix ? Elles pourraient les porter deux fois de suite et puis, les jeter au compost, avec les épluchures de légumes, pour qu’ils retournent à la terre. 

Sylvia Heisel, à Paris, le 22 septembre 2018 (©Le Boudoir Numérique)

Avez-vous exploré d’autres matériaux pour le 3D printing? Par exemple, pourrait-on imprimer de la fausse fourrure ? 

Nous sommes en train de réaliser des tests avec du plastique recyclé. C’est prometteur mais la qualité de ce type de plastique ne permet pas encore d’en faire des robes. En ce qui concerne la fausse fourrure, j’ai vu des impressions plus vraies que nature mais elles demeurent très chères. Quoi qu’il en soit, l’important me semble de créer des choses nouvelles, pas de répliquer ce qui existe déjà. C’est exactement le but que l’impression 3D et sa manière inédite de fabriquer des vêtements nous permettra d’atteindre. 

Pensez-vous que l’impression 3D et la fashion technology  aient un rôle décisif à jouer dans le futur de la mode, notamment en matière de fabrication éco-responsable? 

Absolument. Mais il faut que l’industrie de la mode comprenne les opportunités offertes par la technologie et s’en saisisse. Si les industries automobile, aéronautique et médicale ont bien compris l’intérêt de l’impression 3D par exemple, le changement de mentalité est encore timide dans la mode. Il est désolant de constater qu’aujourd’hui nous pouvons imprimer des valves cardiaques ou des moteurs d’avions en 3D mais toujours pas de boutons. Néanmoins, je suis convaincue que les choses avancent. L’enthousiasme pour ces thématiques dont témoignent les étudiants en stylisme, lors de nos cours et ateliers, est tout à fait  encourageant à cet égard. On y arrive, doucement mais surement. 

* Le site internet de Sylvia Heisel est accessible ici

* Le site internet de WillowFlex est ici

* L’article du Boudoir Numérique, intitulé «Fashion tech compostable», sur le Smart Square de Première Vision est ici

* Le prochain salon Première Vision Paris se déroulera au parc des expositions de Villepinte, du 12 au 14 février 2019. Le site internet de Première Vision Paris est là

Ludmilla Intravaia

ENGLISH VERSION

 Sylvia Heisel : “I want to print compostable fast fashion clothes”

Sylvia Heisel, à Paris, le 22 septembre 2018 (©Le Boudoir Numérique)

“25 Forward Thinkers Defining the Future of Fashion”, "Top 100 Women in Wearable and Consumer Tech", "12 Amazing People You Need To Know In New York Fashion Tech…, Sylvia Heisel is a renowed figure of fashion tech. The american fashion designer specialized in 3D printing tells more to Le Boudoir Numérique about her prototype of compostable dress presented at Première Vision Paris, in September. 

Le Boudoir Numérique : You are a fashion designer specializedin 3D printing. Why did you choose to work with this technology ?  

Sylvia Heisel, fashion tech designer : I started as a traditional fashion designer in the US. I had my brand for many years, mostly evening dresses, very high end. Ten years ago, I felt that, as a brand, we kept making the same clothes, every single season. We would have a all new collection, we would talk about what was new, new, new, and we would make the same clothes again. It wasn’t creative anymore. The customers, the retailers that we had didn’t want anything new. It got very uninspiring. At the same time, you could see that the world was going to change. I felt the need to adapt to it. As technology is what would actually drive this change, I started learning about it, going to conferences and studying the differences between how the electronics industry and the fashion industry manufacture products. I made some designs with wearable tech, for smart watches, incorporating electronics. Having done some of that, that led me to 3D printing. I have been doing 3D printing for about five years now. And it’s just starting to be at a point where you can actually begin to make clothes.  

On your website, one can see un bag, a coat and dresses in 3D printing. Could I buy a dress made by the Heisel Design Lab ?

We don’t produce or sell clothes at this point. We do one-off products or prototypes for designers and brands. We teach classes and lead workshops in 3D printing for fashion in schools. The pieces that we have done have been shown at fashion and tech events around the world, at CES 2016 for instance. What we want to do is to develop a system for other designers to make things in 3D printing not do it ourselves. We want 3D printing to become a new way to make clothes, to develop it as a sustainable fashion, as a manufacturing way. And each dress we have made is a further exploration of how the technology will work, like the prototype “Dress #4 for compostable fashion” we just made for the show Première Vision Paris

“Dress #4 for compostable fashion” de Sylvia Heisel, au Salon Première Vision Paris, le 20 septembre 2018 (©Le Boudoir Numérique)

What is the particularity of this dress ? 

The dress is produced by 3D printing in biodegradable bioplastic, in that case a corn byproduct. Most plastic is made from petroleum. When it’s made of petroleum, it will never change its molecular caracter. It will stay for ever, or almost for ever, in the natural environment. The bioplastics will biodegrade from two years to a hundred years. Not thousands and thousands of years. Composted, bioplastics will absolutely go back into the soil. The corn byproduct that we are using is made in Kansas, in the US and will biodegrade in landfill in a couple of years. In Germany, the company WillowFlex makes it into filaments, like a string that will go to the printer, without any waste, because only the actual dress parts are made. 

Could we say that your dress is compostable ? 

Absolutely. You could literally put that dress in your backyard with the vegetables clippings and it would be gone in a couple of years. We tested a piece that we put out in the compost in the garden and it did all shrink within one year. About half of it was gone. Naturally, problems remain. That kind of compostable plastics holds smells. The dress absorbs everything, oils, sents, etc. And once it gets dirty, you cannot wash it. So yet it’s not easy to wear. And it’s not flexible enough to be really confortable. Our work needs a lot of experimentations. Finding the right material, how thick, how thin, and working with what the material can do, the same way you would with a fabric. It’s very early in this technology but what I would like is to print at a big scale clothes that are fast fashion, that you could compost.

Recently, the rise of public consciousness concerning the damage against the environment caused by fast fashion make people turn to slow fashion, a movement to wear a garment longer and to consume less. But your vision of the future would be to offer an alternative in printable and compostable fast fashion ? 

Slow fashion is a fantastic solution for a lot of things. But I am not sure if it is always realistic for fashion. How do you tell every young woman in the world who is  starting to make some money, who wants to go shopping and is not well educated about sustainable fashion : “Dont buy something unless you are sure it’s quality. You are gonna wear it for ever.” I am not sure that she will listen. This message makes it very serious. Why not print instead a product that doesn’t arm the environment ? She could buy something not expensive and wear it twice. And then put it out with the vegetables clippings.

Have you tried other materials for 3D printing ? What about false fur ? Could we print it ? 

We are experimenting with recycled plastics. We can’t make a dress yet but we are working on it. Concerning false fur, I have seen printings as fine as fur. But it’s very expensive for now. Nevertheless, I think the opportunity is to create new things that look different. Not to recreate anything that we have. With 3D printing, designers could create products that are new.

Do you think that 3D printing and fashion tech has a role to play in the fashion revolution for sustainable production ? 

Absolutely. Major industries, like medicine, cars, airplanes are using 3D printing. Fashion is not. We can print heart valves and parts of engines but we still can’t print buttons. It’s kind of sad. 3D printing and technology are still very new for the fashion industry but it’s coming quickly. For instance, in our classes and workshops, there is more and more interest from fashion students about these topics. I am hopefull that the fashion industry will see how many technological opportunities there are.

Ludmilla Intravaia