"Avec la laine, on est très loin de l’image idyllique du mouton tondu gentiment dans son pré"
1/3 - Le 10 décembre dernier, c'était la Journée internationale pour les droits des animaux. L’occasion de revenir sur l’actualité et les avancées de la lutte contre l’exploitation des non-humains par la mode et le luxe, en compagnie d’Anissa Putois, représentante de l’association PETA (Pour une Ethique dans le Traitement des Animaux). Dans la première partie de son interview : focus sur la laine.
Par Ludmilla Intravaia
Le Boudoir Numérique : Le 1er décembre dernier, le groupe italien Armani, propriétaire notamment des marques Giorgio Armani et Emporio Armani, a exprimé sa volonté de proscrire l’utilisation de l’angora dans ses futures collections. De même, la plateforme de vêtements Farfetch n’en vendra plus d’ici avril 2022. Ces annonces sont-elles une bonne nouvelle pour ceux qui dénoncent les cruautés infligées aux lapins angora, dont les poils longs et soyeux sont tissés pour obtenir la laine angora?
Anissa Putois, chargée de communication chez PETA France : Oui, c’est très positif. Depuis que PETA a commencé à diffuser des enquêtes sur le sujet, il y a quelques années, l’industrie de l’angora s’est effondrée. Contactées par nos soins, des centaines de marques se sont engagées à ne plus utiliser l’angora, après avoir pris connaissance des vidéos montrant les maltraitances subies par lapins. Aujourd’hui, on peut compter sur les doigts de la main les marques qui l’utilisent encore. Au début de cette année, la marque française American Vintage, que nous ciblions par une campagne depuis un an et demi, parce qu’elle refusait d’arrêter l’angora, s’est engagée à le faire. Qu’Armani et Farfetch répondent également à notre demande va permettre d’épargner beaucoup de lapins.
Quels sévices les lapins angoras subissent-ils pour l’obtention de leur pelage ?
Les lapins utilisés pour l'angora, dotés d’une fourrure très douce, sont très souvent élevés dans des cages individuelles, avec très peu d'aménagement, alors que ces êtres sensibles ont besoin de vivre ensemble, en groupe. Plusieurs fois par an, on les sort de leur cage pour les étendre sur une planche, où leurs poils sont arrachés à pleines poignées. Dans d’autres élevages, ils sont ligotés et suspendus par les membres, la tête en bas, pour subir le même sort. Leur peau étant très délicate, elle se déchire parfois et les lapins sont laissés à vif, après cette manipulation. Certains vont mourir dans les hangars très froids car sans leurs poils, ils n’ont plus de protection contre les éléments. Ce traitement est extrêmement cruel. Et comme dans toute exploitation animale, une fois ces animaux jugés non rentables, une fois que leur fourrure ne pousse plus assez vite ou qu'elle n'est plus assez douce, ils sont envoyés à l'abattoir.
Et ces souffrances recommencent régulièrement, dès que les poils repoussent, c’est bien ça ?
Les animaux subissent cette torture plusieurs fois dans leur vie, entre deux et trois fois par an, dépendant des exploitations.
Elargissons notre discussion à la laine utilisée par la mode, la laine de mouton principalement. En novembre dernier, deux militants de PETA ont manifesté devant des grands magasins parisiens pour dénoncer la laine, la réalité des élevages et de la tonte. L’image d’Epinal de l’éleveur qui traite et tond ses moutons avec respect et bienveillance semble pourtant avoir la peau dure chez certains consommateurs qui l’invoquent encore, en toute bonne foi.
On entend, en effet, souvent cet argument des éleveurs qui s'occupent bien de leurs animaux. Malheureusement, on sait que ce n'est pas du tout le cas. On a vu tant d'enquêtes, dans tous les secteurs, que ce soit la mode, l'alimentation, etc. qui montrent qu’à partir du moment où les animaux sont exploités pour le profit, ils vont subir des maltraitances. Dans le cas des moutons, plusieurs enquêtes diffusées par PETA font état, en Australie, le plus gros producteur de laine au monde, de pratiques totalement inacceptables subies par les moutons. Je pense notamment au mulesing (technique chirurgicale d’ablation d’une partie de la peau autour de l’anus de l’animal, pratiquée en Australie pour réduire l’incidence de la myiase chez les moutons mérinos, une infection due à la présence dans le corps de larves d’insectes parasitaires, NDLR). Cette mutilation est pratiquée sans anesthésie. Sur des vidéos bouleversantes de PETA, on voit des agneaux se faire découper la croupe, sous les yeux de leurs mères qui les entendent hurler, sans pouvoir rien faire pour les aider.
Et en ce qui concerne la tonte ?
Les enquêtes de PETA, en tout une quinzaine de vidéos tournées dans plus de 200 exploitations lainières et hangars de tonte de moutons, partout dans le monde, sur quatre continents, montrent des animaux qui se font violenter. Parce que les tondeurs, payés au volume de laine qu'ils arrivent à récupérer de l'animal et non à l'heure, travaillent très, très vite pour essayer d'obtenir autant de laine que possible. Les animaux sont plaqués au sol, quand ils essaient de se débattre. Ils sont parfois littéralement jetés par les tondeurs. Certains se prennent des coups de poings à la tête, des coups de pieds. On voit des tondeurs se tenir sur leur cou, leurs membres. Les animaux, blessés ou coupés par les tondeuses, sont laissés sans soins. Vraiment, avec la laine, on est très loin de cette image idyllique du mouton bien traité et tondu gentiment dans son pré.
En début d’année, la presse s’est fait l’écho de la tonte de Baarack, un mouton mérinos qui, égaré dans le bush australien pendant cinq à sept ans, avait développé une toison de quelque 35 kilos. S’appuyant sur cette anecdote, une personne me justifiait récemment sa consommation de laine par le fait que ne pas tondre les moutons les fait souffrir…
C'est vrai. Aujourd'hui, il faut tondre les moutons mérinos car sinon, ils développent trop de laine et ne peuvent plus s'en défaire naturellement, comme c’était le cas avant que l'exploitation des moutons pour la laine ne se développe à grande échelle. En effet, les moutons mérinos ont été sélectionnés génétiquement par l’industrie de la laine pour produire le plus de laine possible, afin de tirer un profit maximal de chaque animal. Dans la nature, les ancêtres sauvages des moutons domestiques actuels produisent la juste quantité de laine nécessaire à se maintenir au chaud, pendant l’hiver. Ensuite, ils perdent naturellement le surplus de leur toison chaque année. Donc, oui, il faut tondre les moutons mérinos, une fois par an au moins, pour qu’ils ne souffrent pas du développement d’une toison anormalement lourde.
Sauf que dans le sanctuaire pour animaux australien, Edgar’s Mission, où ce mouton mérinos a été recueilli, il a été tondu avec respect…
Tout à fait. Parce que la tonte n’a pas été réalisée pour le profit mais bien pour le soulager. Nos enquêtes prouvent malheureusement que, dans l’industrie de la laine, ce n’est pas le cas : la tonte n'est pas du tout faite dans les meilleures conditions pour l'animal.
Si on veut éviter de porter de la laine, vers quelles alternatives se tourner, imaginons pour une paire de chaussettes ?
On peut opter pour des alternatives qui ne sont pas issues de l’exploitation des animaux, comme du coton bio, du bambou, du lin, du chanvre, des fibres naturelles respectueuses de l’environnement. On ne va pas se mentir, on n'y est pas encore tout à fait. Pas encore, par exemple, au niveau des alternatives au cuir qui sont nombreuses. Néanmoins, les mailles élaborées à partir de fibres végétales se développent de plus en plus, avec des qualités similaires à celles de la laine, tout en étant moins polluantes.
Quel est l’impact écologique de la production de la laine ?
L’élevage de moutons, comme celui de bovins mène à la déforestation et génère quantités de gaz à effet de serre qui contribuent au réchauffement climatique. Outre les pesticides et les insecticides employés pour débarrasser les moutons des parasites, des produits chimiques toxiques sont utilisés pour traiter la laine, sources de contamination des cours d’eau, des écosystèmes et des populations aux alentours. Selon le rapport Pulse of the Fashion Industry, la laine de mouton est l’une des cinq matières les plus polluantes de la mode.
Et si j’achète une paire de chaussettes en synthétique ?
Choisissez des fibres synthétiques recyclées, même s’il ne s’agit pas du tout de faire la promotion des matières issues de la pétrochimie. Néanmoins, d’après le rapport Pulse of the Fashion Industry, les émissions de gaz à effet de serre générées par la production de laine sont supérieures à celles causées par la production d’acrylique, de nylon et d’autres matériaux synthétiques. Le synthétique est loin d’être idéal mais si on compare la laine à des matières vegan dérivées du pétrole, en termes écologiques, la laine est perdante.
* Retrouvez la deuxième partie de l’interview d’Anissa Putois de PETA prochainement sur le Boudoir Numérique.
* Pour vous donner une idée des alternatives possibles aux matières issues de l’exploitation animale, plongez-vous dans le dossier spécial du Boudoir Numérique sur la mode et la beauté vegan ici.