Le boudoir numérique

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"La tech est en train de prendre sa place dans la mode"

Cyril Bertrand, le 15 octobre 2019, à Paris (©Lionel Samain pour Le Boudoir Numérique 2019)

Un sac qui s’allume pour vous aider à trouver vos clés dans le noir, une pochette de maroquinerie pour recharger son téléphone…, dorénavant, les accessoires de mode ne se contentent plus de leur simple nature utilitaire d’antan, ils disposent de fonctionnalités supplémentaires. C’est là que De Rigueur entre en jeu, pour intégrer des composants technologiques dans une mode, de plus en plus fashion tech. Explications avec Cyril Bertrand, directeur artistique de ce bureau d’étude français, né en 2014. 

Par Ludmilla Intravaia

Le Boudoir numérique : Vous vous définissez comme “le premier bureau d’étude de la fashion tech”. La fashion tech, c’est quoi ? Et pourquoi avoir choisi ce secteur d’activité ? 

Cyril Bertrand, directeur artistique chez De Rigueur : La fashion tech est le segment de la mode, des wearables, des accessoires et des vêtements améliorés, grâce à des fonctionnalités techniques. Par exemple, des vestes chauffantes, des sacs permettant de recharger son téléphone ou des accessoires lumineux pour indiquer la direction à prendre, quand on roule à vélo. Nous avons choisi ce créneau, parce qu’à la naissance de De Rigueur, en 2014, nous commercialisions notre propre produit, le Connected Sleeve, un étui en cuir pour recharger son téléphone par induction magnétique. Cet accessoire de maroquinerie a été récompensé du prix de l’innovation au salon CES, en 2016. Forts de ce succès, et les marques s’intéressant de plus en plus à nous, nous avons commencé à développer des produits connectés pour des clients comme Lancel et Jérôme Dreyfuss, en 2017 ou comme Lacoste, cette année. C’est de cette manière que nous sommes arrivés sur ce segment de la fashion tech, en inventant littéralement un nouveau métier, puisqu’il n’y avait personne sur ce créneau. 

Connected Sleeve de De Rigueur

Que voulez-vous dire par là ? 

En aidant les marques à intégrer de la technologie dans leurs collections, nous avons inventé un nouveau métier, agissant comme un trait d’union entre deux mondes qui ont du mal à se parler. Avant nous, personne ne faisait ça. Quand une marque se lance dans l’implémentation d’une technologie, elle prend un risque énorme, parce qu’elle investi un domaine qu’elle ne maitrise pas. Elle est habituée à sa chaîne de production et à toutes les problématiques inhérentes aux métiers de sa filière mais elle ne sait pas comment habiller des composants électroniques. Elle veut avoir la certitude que tout va bien se passer. C’est à ce moment qu’elle fait appel à nous, comme à un laboratoire de R&D externalisé pour les marques de mode, de luxe et de sport. Puisqu’au début, nous développions nos propres produits connectés, nous comprenons ce qu’est une chaîne de production, nous connaissons les fournisseurs de technologie, bref, nous savons comment les deux mondes fonctionnent. Nous sommes, dès lors, capables d’implémenter cette dimension technologique dans une chaîne de production, aussi simplement que l’on coudrait une poche ou une fermeture éclair sur un sac. 

Concrètement, si une marque veut travailler avec vous, comment cela se passe-t-il ? 

Nous commençons par un rendez-vous de découverte avec notre client potentiel, une marque de maroquinerie, de mode ou de luxe, qui va nous dire ce qu’elle souhaite, par exemple, intégrer de la lumière dans un sac. Sur base de l’analyse des besoins et des fonctionnalités désirées, nous envisageons les différentes technologies possibles, avec leurs scénarios de design et coûts spécifiques. Viennent ensuite les étapes du proof of concept, du prototype, de la pré-production, de la production de masse, accompagnées des tests, certifications et contrôles qualité, nécessaires à la livraison finale d’un produit clé en main. Ca, c'est le cycle complet mais, dans certains cas, nos clients choisiront uniquement de faire appel à nous pour la définition des besoins, le sourcing de technologie, l'accompagnement sur le design et les POC, tandis qu’ils préfèreront que la production soit réalisée dans leurs propres usines. Chaque projet est différent, car chaque client est unique. Nous ne sommes pas là pour vendre des composants techniques mais pour accompagner le client dans la création d'un projet qui lui ressemble, marqué de son ADN.  

Quelles sont les fonctionnalités dont peuvent être dotés les accessoires ? 

La fonction la plus demandée demeure la capacité à recharger son téléphone sans fil. C’est ce que nous avons fait pour Lacoste, avec les accessoires Infini-T, un sac à dos et un sac banane, dotés d’une batterie solaire pour rechercher son smartphone, n’importe où et n’importe quand, par simple contact. En fait, pour Lacoste, nous avons couplé deux technologies existantes : la recharge sans fil et le panneau solaire qui recharge la batterie. Nous avons également développé des fonctionnalités lumineuses, comme des bandes qui s’allument, afin qu’un accessoire soit bien visible dans le noir ou un fond de sac qui s’éclaire pour trouver ses clés, plus rapidement, dans l'obscurité. D’autres fonctionnalités existent, comme celle, sécuritaire, de verrouiller l’accès à un sac par empreinte digitale ou de géolocalisation d’un accessoire, en cas de vol. 

Sac à dos Infini-T de Lacoste

Pourquoi les marques de mode veulent-elle ajouter des fonctionnalités à leurs accessoires et vêtements ? 

Parce qu’elle ont bien saisi ce besoin des gens d’améliorer leur quotidien par la technologie. Elles veulent ainsi séduire un public plus connecté, plus nomade et plus jeune qui, de son côté, développe des attentes de plus en plus grandes pour des fonctionnalités supplémentaires, au fur et à mesure que la tendance fashion tech prend de l’ampleur. 

Comment voyez vous le futur de cette alliance mode et tech ? 

L’avenir est très prometteur. Le début de cette année a été un moment pivot très positif, en cette matière. Avant, on jouait un rôle évangélisateur. On expliquait à nos clients potentiels ce qu’on pouvait faire avec la technologie et ils nous disaient, perplexes : ha bon, on peut intégrer des composants électroniques à de la maroquinerie ? On n’y avait pas pensé. Maintenant, nous n’avons plus à les convaincre. Des clients qui ne nous auraient jamais contactés auparavant viennent nous voir avec une idée très précise que ce qu’ils veulent. Ils ont déjà analysé le marché, réfléchit aux fonctionnalités et nous demandent comment mettre en œuvre leur projet. Pareil pour les salons professionnels qui disposent dorénavant tous d’un espace tech dédié. La situation est vraiment propice et tout est en train de se faire maintenant. On ne pourra plus revenir en arrière. La fashion tech se développe et avance. Avec la démocratisation des technologies, chaque jour qui passe est un pas gagné, dans une direction innovante. La tech est en train de prendre sa place dans la mode, c’est incontournable.

Cyril Bertrand, le 15 octobre 2019, à Paris (©Lionel Samain pour Le Boudoir Numérique 2019)

Pour clore cet entretien, auriez-vous un livre à conseiller aux lecteurs du Boudoir Numérique, afin d’en apprendre un peu plus sur votre métier ? 

Je dirais La Poulpe Attitude du chercheur en psychologie sociale Christophe Haag. Cet ouvrage de neurosciences explique et vulgarise le fonctionnement intuitif, afin de nous permettre de l’utiliser comme aide à la prise de décisions. Il n’est pas directement lié à l’univers fashion tech mais c’est un bon ouvrage qui repose sur la valeur de l’expérience, nécessaire dans notre métier.

* Le site internet de De rigueur est ici.

* Cette interview s’est déroulée dans le cadre de la rédaction de l’article intitulé “Plus d’un tour dans leur sac”, pour le magazine belge Le Vif Weekend, en date du 26 septembre 2019. Découvrez le ici.