Le boudoir numérique

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FTWP 19 : "Réunir le geste de la mode et la pensée scientifique"

Claire Eliot, le 23 septembre 2019, à Paris (© Lionel Samain pour Le Boudoir Numérique 2019)

A l’occasion de la Fashion Tech Week Paris qui ouvrira ses portes, le 14 octobre prochain, sa co-fondatrice Claire Eliot en dit plus long sur cet événement “prônant un nouveau système de la mode, plus ouvert et interdisciplinaire, mettant en lumière les jeunes générations qui ont quelque chose de neuf à proposer”. 

Par Ludmilla Intravaia

Le Boudoir Numérique : Professionnellement, vous portez deux casquettes, puisque vous êtes à la fois designer et chercheuse en e-textile. Quelles sont vos activités ? 

Claire Eliot, co-fondatrice de la Fashion Tech Week Paris : A la base, j’ai une formation en mode, à l’Ecole Duperré (école supérieure parisienne d’arts appliqués, NDLR). J’ai ensuite développé mes compétences techniques en design industriel, à l’ENSCI (Ecole Nationale Supérieure de Création Industrielle, à Paris, NDLR), tout en m’initiant à l’électronique, en tant qu’autodidacte. Dorénavant chercheuse-enseignante au CRI, le Centre de Recherches Interdisciplinaires, à Paris, je fais partie du Motion Lab, le laboratoire corps, mouvements et dispositifs numériques, où l’on réfléchit à la manière de repenser les outils numériques et notre rapport corporel à eux, notamment sans se servir d’écrans. Je travaille sur la façon dont le textile peut permettre de créer des outils numériques souples, où l’on va, par exemple, toucher une matière interactive flexible, plutôt qu’une interface lisse, pour interagir avec un dispositif électronique, par des mouvement plus proches de ce qu’on connaît en tant qu’être humain, plus organiques, physiques, tangibles et moins statiques. Par exemple, éduquer de jeunes enfants, par le biais d’un doudou en e-textile, plutôt qu’avec une tablette numérique. Je demeure designer, parce que je continue à fabriquer des objets et des applications liés à mes recherches, tout en me livrant à une réflexion fondamentale, plus détachée du produit fini. Mon profil se situe vraiment entre la recherche et le design, dans une ère digitale où tout va si vite qu’il faut constamment réinventer les dispositifs numériques à notre disposition. En ce sens, je soutiens le collectif Design en recherche (un réseau de jeunes chercheurs en design, formé en 2013, NDLR) qui considère que le designer peut aussi être un chercheur.  

 N’est-ce pas le concept même du séminaire mode et recherche de la Fashion Tech Week Paris, dont vous êtes la co-fondatrice ?

Tout à fait. Nous prônons un nouveau système de la mode, plus ouvert, plus communiquant, laissant la place aux jeunes générations qui ont quelque chose de neuf à proposer. Pour qu’elles ne soient pas seules dans la bataille, nous avons fondé l’association La Fashiontech, réunissant les écosystèmes de la mode et de la technologie. Autour de nos événements, notamment la Fashion Tech Week Paris, nous avons fédéré une communauté de partage et de collaboration, en France et à l’étranger. Avec des rendez-vous comme la FashionPitch Night ou la FashionTech Expo, nous tâchons de mettre en avant des startups et des jeunes pousses qui ont besoin d’être valorisées, afin de les faire connaître, sur base du réseau fashion tech spécifique qui est le nôtre. En ce qui concerne le séminaire mode et recherche, son but est de réunir chercheurs et  designers, afin de les faire réfléchir aux problématiques du textile et de la mode. Si j’ai la chance d’avoir ce double profil designer et chercheur, il n’est pas toujours facile pour eux de se rencontrer pour s’inspirer et travailler ensemble. Avec ce colloque, nous voulons leur donner cette opportunité. L’an dernier, nous avons invité des chercheurs et cette année, à l’inverse, nous voulons mettre en lumière des designers, impliqués dans une démarche scientifique. Cette thématique de l’interdisciplinarité est fondamentale, parce que mode et technologie ont encore du mal à communiquer. 

Claire Eliot, le 23 septembre 2019, à Paris (© Lionel Samain pour Le Boudoir Numérique 2019)

Pour quelle raison ? 

Les secteurs de la mode et de la technologie ont toujours travaillé indépendamment. Déjà, la discipline arts et sciences n'est reconnue que depuis quelques années, même si de nombreux artistes ont toujours intégré une part scientifique à leurs œuvres. Les choses sont en train d’évoluer positivement mais il reste une séparation entre la mode et la science, tout comme entre le travail de la main et le travail intellectuel. Le designer est le seul à allier ces deux dimensions mais, mis à part lui, le savoir-faire et le savoir-penser sont encore très souvent déconnectés. Il faut réunir le geste de la mode, son style, son esthétique, ses matières à la pensée du scientifique, la recherche fondamentale, intellectuelle et cartésienne. A la croisée de ces deux univers, le designer global sera le catalyseur entre la mode et la technologie. 

 Peut-être les marques n’ont-elles pas envie de prendre de risques, en s’engageant sur le terrain inconnu de la tech ? 

Je comprends les difficultés rencontrées par la mode envers l’utilisation de la technologie. Ne fut-ce que parce que les temporalités des deux mondes ne sont pas les mêmes. Les batteries diminuent de taille, les puces deviennent de plus en plus puissantes, les protocoles de communication ne cessent de se diversifier, les téléphones changent tout le temps, bref l’électronique évolue beaucoup plus vite que la mode qui est plus saisonnière. Un panneau solaire souple n’attendra pas la collection printemps-été ou croisière pour sortir de son laboratoire de recherche.  C’est la raison pour laquelle il y a un énorme travail à réaliser, en termes de systèmes électroniques embarqués dans le textile, auquel la technologie doit se plier, et pas l’inverse. Les ingénieurs électroniques doivent fabriquer de nouveaux composants et systèmes que la mode pourra facilement intégrer dans ses créations. 

Que pourrait apporter cette union fashion tech ? 

Elle pourra permettre d'innover plus rapidement et de mieux penser la technologie pour, entre autres, améliorer le positionnement des produits sur le marché. Même pour les grandes marques qui disposent de moyens financiers et de ressources technologiques et humaines, il est difficile d’intégrer de la technologie aux vêtements et accessoires. On pourrait imaginer qu’il suffit de faire un peu de R&D pour y arriver mais ce n’est pas le cas. C’est toute la chaine de fabrication et de montage qu’il faut changer. Faire un trou dans un sac, c’est possible mais y embarquer de la fibre optique, c’est une autre affaire. Les prototypistes d’accessoires, par exemple, n’ont pas l’habitude d’intégrer des nouvelles technologies dans leurs produits. D’où la nécessité de faire appel à d’autres compétences avec lesquelles collaborer harmonieusement. Un dialogue entre la couturière et l’électronicien doit s’instaurer pour que ces métiers qui ne se connaissent pas puissent, enfin, travailler ensemble. 

Claire Eliot, le 23 septembre 2019, à Paris

* La 7e édition de la Fashion Tech Week Paris se déroule du 14 au 20 octobre 2019, à Paris. Le site internet de l’événement est ici

* L’appel à projets de la FashionTech Expo 2019 se trouve ici

* L’appel à projets de la FashionPitch Night 2019 se trouve là.

* Dans le cadre de la FTWP 2919, l’avocate spécialiste de la fashion technology Naïma Alahyane-Rogeon et la designer de smart textiles Florence Bost animeront un petit-déjeuner débat, intitulé “La data dans la mode – les vêtements connectés, enjeux juridiques et techniques”. L’événement aura lieu le 16 octobre 2019, de 9h30 à 11h, au cabinet Alain Bensoussan, 58 boulevard Gouvion St Cyr, 75017 Paris. Toutes les infos ici. A l’occasion de l’édition précédente de la FTWP, Naïma Alahyane-Rogeon avait accordé une interview au Boudoir Numérique sur le sujet suivant : “Loi et fashion tech : que faut-il savoir ?”. Florence Bost expose une de ses pièces fashion tech à La Manufacture de Roubaix, jusqu’au 27 octobre 2019. Toutes les infos dans cet article du Boudoir Numérique : “Automne fashion tech et éthique à Roubaix”. 

* Retrouvez le reportage photo du Boudoir Numérique à l’édition précédente de la FTWP 2018, dans l’article suivant : “Expo Fashion Tech Week Paris : le Boudoir Numérique y était”. Alice Gras, cofondatrice de l’événement, s’exprimait, à cette occasion, dans l’interview suivante du Boudoir Numérique : “La mode et la tech communiquent mieux”.

* Le site internet de Claire Eliot se trouve ici

* Le site internet du Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRI) se trouve là

* Le site internet Design en recherche est là.

* Claire Eliot participe, avec d’autres artistes, à l’événement Nuit Blanche, à Paris, au CRI, le 5 octobre 2019, de 19 heures à 2 heures du matin. Elle y présente son travail Soft Mirror, réflexion sur le rapport entre numérique et biomimétique (processus créatif interdisciplinaire entre la biologie et la technologie, s’inspirant des caractéristiques du vivant, NDLR). Toutes les infos ici.