Covid-19 – "Aider les jeunes créateurs qui ne rentrent pas dans les cases"
La French Fashion Union, réseau d’entraide des jeunes professionnels de la mode, lance un cri d’alerte, en ces temps de crise du Coronavirus. Faute d’aide adaptée à leurs cas spécifiques, la moitié des marques émergentes de la communauté FFU risque de mettre la clé sous la porte. “Ne nous mettez pas de côté et tendez-nous la main”, lance Morgan Bancel, co-fondateur de la French Fashion Union, dans son interview au Boudoir Numérique.
Par Ludmilla Intravaia
Le Boudoir Numérique : Quelles sont les difficultés subies par les jeunes créateurs, en raison de la crise du Coronavirus ?
Morgan Bancel, co-fondateur de la French Fashion Union : Il y a deux typologies de créateurs, les business mixtes qui vendent à la fois en wholesale et en direct et ceux qui vendent principalement en direct. La difficulté centrale rencontrée par les premiers est que leurs clients wholesale sont fermés et ne leur achètent plus la marchandise. Certains d’entre eux ne paient tout simplement plus, ce qui va entrainer une grosse crise de trésorerie pour cette typologie-là. Les seconds sont confrontés à la problématique de la baisse de leur vente en direct, puisque les gens consomment beaucoup moins, ce qui génère un ralentissement extrême d’activité. De toute façon, la problématique commune à ces deux typologies va s’avérer la production, puisqu’aujourd'hui les ateliers sont soit à l'arrêt, soit dédiés à la fabrication de masques ou de blouses et prennent beaucoup moins les commandes des créateurs. Ceux qui ont du stock l’utilisent mais d’autres n’en ont pas du tout, parce qu’ils sont toujours en flux tendu. Lors de la relance, quand tout le monde va pouvoir repartir, la majorité des créateurs aura une grosse déficience au niveau des stocks et ne pourra plus vendre.
Quelles actions la FFU a-t-elle mises en œuvre, jusqu’à présent pour aider les adhérents de l’association et les membres de sa communauté Facebook ?
Nous nous investissons de deux manières. Tout d’abord, nous avons mis à la disposition des jeunes créateurs du contenu qui puisse leur permettre de redémarrer le plus vite possible leurs activités, dès la sortie de la crise du Covid-19. Nous avons axé ce contenu sur le digital, et notamment sur la vente sur internet, puisque en l’absence d’infos sur la réouverture des boutiques, l’e-commerce sera probablement le moyen le plus approprié pour un redémarrage rapide (les liens vers les Facebook live de Morgan Bancel à ce sujet sont disponibles, plus bas, dans cet article, NDLR). Nous avons veillé à être très concrets et à présenter des stratégies clé en main. Nous sommes en train de réfléchir à la manière de pérenniser ce partage de connaissances, en lançant à l’avenir un programme d’un live par mois, en compagnie d’invités spécialisés dans des thématiques susceptibles d’intéresser les jeunes créateurs. Nous allons également mener des séances de coaching personnalisé de 45 minutes pour les marques de notre communauté.
Qu’avez-vous prévu d’autre ?
Nous avons créé un sondage à remplir par les jeunes créateurs (voir le lien, plus bas, dans cet article, NDLR), afin de dresser le bilan précis de leur situation actuelle, de savoir où ils en sont et de quoi ils ont besoin pour affronter la crise. Les données récoltées seront modélisées sous forme d’infographies et de contenus à présenter à la presse, à la fin de cette semaine ou au début de la suivante, afin de l’alerter sur les problèmes rencontrés. Pour le moment, nos résultats sont encore partiels, nos chiffres devant être étoffés avec plus de réponses de personnes sondées mais le constat est déjà terrible : plus de 50% des jeunes créateurs nous disent qu'ils mettront probablement fin à leur activité, pendant la crise ou à la sortie de celle-ci. J’ai les chiffres sous les yeux : 10% sont sûrs de mettre la clé sous la porte et 42,5% le feront probablement. C'est terrible, parce que cette situation tient au fait que les jeunes créateurs n’auront pas été correctement aidés pour pouvoir tenir le coup, pendant ce petit moment de crise.
Que voulez-vous dire par là ? Des mesures de soutien de l’état ne sont-elles pas prévues pour aider les entreprises à faire face à la situation ?
Nous sommes logés à la même enseigne que tout le monde pour obtenir des aides, à savoir les fameux formulaires à remplir en ligne, notamment pour l'aide de 1500 euros par mois. Or, les jeunes créateurs que nous représentons sont des marques qui existent depuis un ou deux ans. Et eux, ne rentrent dans aucune des cases des aides proposées par l’état. En effet, pour en bénéficier, il faut pouvoir justifier d'une chute libre de son activité, de son chiffre d'affaires, ce que ne peuvent pas démontrer les tous jeunes créateurs avec un ou deux d'existence, dans la mesure où ils ont peu ou pas de passif. Comment pourrait-on dire qu'on fait 70% de chiffre d'affaires en moins cette année, alors que l'an dernier, à la même période, on n'en faisait quasiment pas ou peu, vu qu'on venait juste de lancer son activité ? Donc, les jeunes créateurs ne sont éligibles à aucune aide, alors qu’ils galèrent comme les autres, qu’ils ont investi énormément de moyens et d’énergie dans leur marque et que leur situation est devenue aussi précaire que celle des autres chefs d’entreprise.
Quel but poursuivez-vous en alertant la presse ?
Nous voulons faire comprendre qu’il faut aider les jeunes créateurs ne rentrant pas dans les cases. Bien sûr, la majorité des marques y entrent mais ce n’est pas une raison pour que les autres soient mises de coté. D’après les chiffres récoltés par nos soins, 40% des jeunes créateurs qui ont étudié les solutions d’aide ne sont éligibles à aucune. C’est vraiment dommage, parce que parmi ces marques émergentes, il y a surement de formidables talents qui auraient fait des entreprises d’exception. Or, ils n’y arriveront pas, tout simplement parce qu’ils ne rentrent pas dans la case du 70% de chiffre d'affaires perdu, par rapport à l'année dernière. Je comprends qu'on aide d'abord les plus gros, les plus anciens, parce que ce sont les plus présents, ceux qui ont le plus d'impact dans l'économie mais une chose m’embête, c'est qu’au sein de ceux qui vont mourir aujourd'hui, il y avait de futurs grands et on ne les a pas aidé. Alors, regardez-nous et tendez-nous la main. Et si on ne rentre pas dans les cases, créons des cases spécialement pour nous.
Comment voyez-vous l’avenir, dans le cadre d’une future relance, disons en septembre ?
Je n’aime pas trop jouer au devin, parce que c’est la meilleure façon de se tromper. Je peux juste parler pour ma propre entreprise Esther Bancel, pour les marques que j’accompagne et celles de la communauté FFU. Aujourd'hui, il devient de plus en plus cher de générer du chiffre d'affaires, parce que ca s’achète, ça se paie par différents moyens, notamment par la publicité. Or, c'est devenu très couteux, parce qu’on a de plus en plus de mal à capter l'attention des gens. Et je pense pas que, d'ici septembre, on réussisse à nouveau à capter l'attention d’éventuels clients sur de l'achat. Donc, entre aujourd'hui et septembre, la meilleure chose à faire pour tous les créateurs n'est pas d'arrêter de vendre, loin de là, mais d'essayer de capitaliser sur ce qui se passe en ce moment, c'est à dire une immense boule d'émotion qui a submergé le monde, en renforçant au maximum les liens avec sa communauté pour l’entretenir et la développer. Pour qu’ainsi, en septembre, quand les gens auront peut être pris un peu de vacances, pour ceux qui y arriveront, on puisse se servir de ce capital émotionnel de marque, nourri pendant cette période crise, pour recommencer à vendre. Alors, en septembre, les ventes vont-elles exploser ou va-t-on continuer à galérer ? Impossible de se prononcer.
* Le site internet de la FFU est ici. La communauté Facebook est là. Le sondage de la FFU est là.
* Regardez les live FFU, réalisés par Morgan Bancel, pendant le confinement :
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