"Augmenter les fonctionnalités des vêtements par les biomatériaux"
Peut-on cuisiner des matériaux pour fabriquer des vêtements et des accessoires de mode durables ? C’est la mission que s’est donnée la designer textile franco-américaine Clara Davis. Cette spécialiste des biomatériaux et des technologies appliqués à la mode, rencontrée au salon Avantex, la semaine dernière, en dit plus long au Boudoir Numérique sur ses expérimentations pluridisciplinaires DIY, dans une optique éco-responsable et circulaire.
Par Ludmilla Intravaia
Le Boudoir Numérique : vous présentez à Avantex plusieurs projets, fruit de vos recherches sur les biomatériaux, comme Bioteca, une sélection d’échantillons de bioplastiques, issus de sources biologiques (voir photos plus bas). De quoi s’agit-il ?
Clara Davis, designer textile : Les bioplastiques de mes archives de biomatériaux ont été fabriqués avec différents biopolymères, issus de végétaux, tels l’agar-agar, l’alginate de sodium et l’amidon de tapioca, de même que d’animaux, comme le collagène, un biopolymère obtenu en faisant bouillir les déchets de l’industrie de la viande et la caséine, une protéine contenue dans le lait. Mes recherches sur ces matériaux bio-sourcés, biodégradables et compostables ont débuté, en 2016, dans le département Fabtextiles du Fab Lab Barcelona, alors que je réfléchissais à ma collection de sacs Biobags, alternative au sac en plastique traditionnel, en matière naturelle qui se décompose dans la nature. J’ai commencé avec la gélatine, puis j’ai expérimenté, de plus en plus, avec d’autres matériaux.
Pourquoi avoir choisi les bioplastiques ?
J’ai toujours été fascinée par le plastique, sa transparence, ses options de couleurs, ses qualités thermoformables et toutes les transformations qu’on peut imaginer avec ce matériau. En tant que designer, on adore créer de nouvelles choses mais le problème est que ces produits neufs ont un effet négatif sur l’environnement. Il faut savoir que 80% de l’impact environnemental d’un produit est déterminé à sa conception. Cet état de fait confère au designer le rôle important de concevoir la vie d’un produit avec des matériaux en adéquation avec la dimension écologique. Je m’intéresse aux biomatériaux, parce que leur emploi permet d’inscrire mes créations dans une perspective plus durable, plus circulaire.
Cultivez-vous vos matériaux comme la biodesigner pionnière Suzanne Lee ? – pour en savoir plus, lire cet article du Boudoir Numérique sur la biofabrication, ici -
Non, je ne fais pas pousser mes matériaux, je les cuisine, selon différentes recettes, au four, à la poêle ou encore dans une casserole. C’est une approche un peu différente qui permet d’avoir un certain contrôle sur l’aspect esthétique des matériaux, dépendant du résultat voulu à l’arrivée. On peut aussi utiliser des moulages, ce qu'on ne pourrait pas nécessairement faire, en cultivant sa matière. Par exemple, je cuisine l’amidon de tapioca au four, avec la même recette mais en changeant divers paramètres pour obtenir différentes textures. Je peux rendre le matériau transparent, en le chauffant des deux côtés ou disposer d’une partie matte et d’une autre brillante, en l’exposant à la chaleur, juste en dessous. J’expérimente de manière spontanée, en autodidacte. Je suis imprégnée de cette culture du do it yourself, de ce désir d’apprendre à comprendre les objets qui nous entourent, dans cette philosophie propre aux makers et à ceux qui s’intéressent au design et à l’art au sens large.
En tant que jeune designer pluridisciplinaire, travaillez-vous, par exemple, avec des composants électroniques, dans une optique plus spécifiquement fashion tech ?
J’ai commencé par la fashion tech, il y a quelques années, avec les textiles connectés ou lumineux et toutes les fonctionnalités augmentées par l’électronique. Le projet final que j’ai réalisé pour mes cours à la Fabricademy du Fab Lab Barcelona était un vêtement qui se rechargeait, en sautant avec, sans batterie, juste par l’énergie du corps. Comme, en parallèle, je faisais des recherches sur les biomatériaux, je me suis dit qu’il devait y avoir des moyens de créer de nouvelles propriétés augmentées, pas seulement par le biais de la technologie mais également grâce aux biomatériaux. Comment faire de la bioluminescence avec des bactéries, par exemple.
Quel est le but de toutes ces expérimentations ?
Ce qui me fait rêver, c’est de développer des vêtements, dont les fonctionnalités dépassent le simple fait d’être un vêtement, grâce aux matières qui les composent. Je veux aller plus loin, pour augmenter les fonctionnalités des vêtements par des biomatériaux qui, par exemple, améliorent l’élasticité de la peau et le micro-environnement du corps. C’est le cas du bodysuit Calgina (voir photos ci-dessous), réalisé à partir d’alginate de sodium, de chlorure de calcium, de spiruline et d’huile essentielle de patchouli. Ce vêtement écologique biodégradable est conçu pour améliorer le bien-être de celui qui le porte, en optimisant ses performances biologiques. Grâce à ses matériaux interagissant directement avec le corps, le bodysuit Calgina booste le système immunitaire, maintien l’hydratation du corps, tout en favorisant la régénération de la peau.
Enfin, les visiteurs d’Avantex ont pu voir votre projet de sacs O-Trash² (photos ci-dessous)…
Oui, c’est une collection de sacs biodégradables, réalisée à partir de tous les déchets organiques de ma poubelle. Ces déchets ont été séchés, broyés et filtrés, et en fonction des différents niveaux de filtration, on obtient divers matériaux, aux esthétiques spécifiques. Ces sacs mettent une semaine à se décomposer dans la nature ou au compost.
Sentez-vous que vos recherches suscitent l’intérêt du public ?
Les visiteurs de mon stand semblent très intéressés, en effet. Je suis positive pour l’avenir, où des avancées stimulantes devraient naître de la collaboration entre designers et entreprises. Je pense que nous sommes sur la bonne voie.
* Le site internet de Clara Davis est ici, celui de Fab Lab Barcelona est ici et la page de Fabricademy Barcelona est là.
* Avantex, le salon international de l'innovation mode et textile, se déroule au Bourget, du 10 au 13 février 2020. Plus d’infos sur le site internet ici.
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- Avantex 2020 : Le récapitulatif du Boudoir Numérique
- “La biofabrication favorise une mode éco-responsable”
- “Savoir-faire textile et science se rencontrent dans l’atelier Sumbiosis”