Le boudoir numérique

View Original

"Du maquillage virtuel est envisageable dans le futur"

Paul Lacroix, ingénieur artistique du projet Omote, sur les bords de Seine, à Paris, le 15 mars 2015 (copyright photo : Lionel Samain)

Concrétiser techniquement les rêves les plus fous des artistes qui s’adressent à lui, tel est le métier de Paul Lacroix. En compagnie de Hiroto Kuwahara, makeup artist féru de technologie, cet ingénieur de création explique au Boudoir numérique sa participation au projet Omote du réalisateur Nobumichi Asai, dont la vidéo de maquillage virtuel projeté sur le visage d’un mannequin à fait le tour du monde.

Le boudoir numérique : Vous êtes ingénieur artistique. En quoi consiste votre métier ? Quelle a été votre mission sur le projet Omote?

Paul Lacroix, ingénieur de création sur le projet Omote : Mon métier consiste à concrétiser de manière pratique la vision abstraite d’un artiste, un réalisateur de film en 3D, par exemple. Souvent, les créateurs ont une idée très précise de ce qu’ils veulent mais ne savent pas comment la mettre en œuvre techniquement. C’est là que j’interviens en leur proposant des solutions personnalisés. Je travaille au Japon depuis dix ans, notamment sur des projets de vidéo mapping, des projections de vidéos sur bâtiments statiques généralement. Voilà déjà plusieurs années que je voulais travailler sur un corps humain en mouvement. Omote a représenté un formidable challenge, dans le sens où je me demandais si, techniquement, il était possible de réaliser une projection de qualité sur un visage qui bouge. C’est la demande que m’a faite, en novembre 2013, le réalisateur japonais du projet Omote, Nobumichi Asai (lire son interview by Le boudoir numérique ici, la vidéo est visible ci-dessous, NDLR). Nous avons notamment fait appel à une technique utilisée depuis longtemps à Hollywood pour les films en 3D, la motion capture. Elle consiste à couvrir le corps de marqueurs, dont la position va être détectée par un dispositif de caméras infrarouges. Le rendu 3D du mouvement est ensuite utilisé dans le film. Après deux mois de tests, nous avons fait des essais sur le vrai visage d’un mannequin et les résultats stupéfiants nous ont confortés dans la conviction que nous devions prendre le temps de produire des contenus d’exception pour dévoiler au public un projet inédit.

La vidéo de projet Omote a été vue plus de 5 millions de fois, la première semaine de son lancement sur internet, il y a un an. Comment expliquez-vous ce succès ? 

C’est vrai, le buzz a été énorme et immédiat. A un certain moment, plus d’un million de personnes par jour ont regardé cette vidéo. De nombreux internautes ont été impressionnés par la qualité de la technologie mise en œuvre et par la façon dont elle a su se faire oublier pour soutenir la vision artistique du réalisateur Nobumichi Asai. Car si la technologie est primordiale, elle n’explique pas tout, loin de là. YouTube regorge de vidéos de démonstrations technologiques qui ne font pas un buzz pareil. L’apport artistique est, de son côté, absolument fondamental. Ainsi, travailler avec un makeup artist professionnel comme Hiroto Kuwahara (lire l’encadré plus bas, NDLR) également versé en matière numérique, a permis de créer une véritable symbiose entre technologie et maquillage réel. C’est le triptyque de nos trois compétences qui a fait la popularité du projet Omote.

On parle de plus en plus des interconnexions croissantes entre la mode, la beauté et la technologie. Remarquez-vous cette tendance dans votre métier ?

Oui, on sent clairement un frémissement, dont le point de départ a été le succès de la marque Apple, la référence qui vient en tête, quand on parle du lien entre mode et technologie. Les smart phones et les tablettes n’ont pas été inventés par Apple. Mais cette façon si différente de présenter les choses, couplée à la finition des produits Apple, a marqué un tournant décisif dans le domaine de la fashion technology. Aujourd’hui, les systèmes électroniques deviennent de plus en plus petits, les écrans de plus en plus flexibles, et on commence à intégrer des batteries aux fibres des tissus. Les cinq prochaines années vont être passionnantes en cette matière. En témoignent mes contacts de plus en plus fréquents avec les mondes de la mode et de la beauté qui se demandent comment tirer parti de ces avancées technologiques. 

Pensez-vous qu’à l’avenir du makeup virtuel pourrait être utilisé à la place du maquillage conventionnel ? Cela vous semble-t-il concevable ou plutôt farfelu ?

Farfelu, non, pas du tout. L’idée est dans l’air du temps et a déjà été évoquée par la science-fiction dans des films comme Total Recall ou Le cinquième élément (respectivement un film de Paul Verhoeven, sorti en 1990 - voir vidéo ci-dessous - et un film de Luc Besson, sorti en 1997, NDLR) qui mettent, par exemple, en scène une pose de vernis à ongles numérique. On le constate, la science-fiction a anticipé de nombreuses innovations, aujourd’hui courantes. Quand les batteries seront intégrées aux vêtements ou, mieux, que nous pourrons utiliser l’énergie du corps en lui-même, nous pourrons alimenter des microsystèmes placés sur les ongles pour générer du vernis numérique. Pour le maquillage du visage, des projections seront également possibles. On peut donc imaginer que dans un avenir pas si lointain que ça, on arrive, sans problème, à créer ce type de maquillage et d’accessoires de beauté virtuels pour des usages quotidiens.

Le cinquième élément de Luc Besson (1997)

Du face mapping comme maquillage ? L’avis du makeup artist du projet Omote

Hiroto Kuwahara, makeup artist du projet Omote, sur les bords de Seine, à Paris, le 15 mars 2015 (copyright photo : Lionel Samain)

Le directeur artistique Hiroto Kuwahara a prêté son talent à la vidéo de makeup virtuel de Nobumichi Asai, en imaginant les maquillages projetés par face mapping. Le makeup artist japonais, féru de technologie, confie au Boudoir numérique :

"Contrairement au maquillage classique qui ajoute des matières sombres sur le visage, le face mapping illumine les traits, en faisant disparaitre ombres, rides et cernes. Nous l’avons tous remarqué sur le projet Omote, le visage du modèle paraissait plus jeune. Le face mapping pourrait être utilisé comme une sorte fond de teint numérique, destiné à sublimer la beauté du visage. Marcher dans la rue, en portant du makeup numérique, on y arrivera, c’est certain, même si ce n’est pas tout de suite. J’entrevois des possibilités fascinantes dans le futur, comme l’enregistrement et l’archivage des maquillages en trois dimensions. C’est ce que nous avons commencé à faire avec le projet Omote. Tous les maquillages que j’ai créés en 3D ont été conservés précieusement. Ainsi à l’avenir, nous pourrions imaginer de suivre l’évolution de l’histoire de la beauté, non plus seulement sur base de photos en deux dimensions mais sur base de documents en trois dimensions. Nous pourrions également conserver l’empreinte d’un visage de référence, en cas de chirurgie esthétique, projeter l’enregistrement du makeup d’une personne jeune sur ses traits devenus plus matures ou s’offrir le face mapping du maquillage de son actrice favorite par un makeup artist spécifique. Toutes ces innovations feront bouger les frontières très conservatrices de l’art du maquillage vers de nouveaux territoires à explorer.

* Le site internet de Paul Lacroix : www.paul-lacroix.com.

* Le site internet de Hiroto Kuwahara : www.hi-kuwahara.com

* La vidéo de Projet Omote : https://vimeo.com/103425574.

* L'interview du réalisateur du projet Omote, Nobumichi Asai, est disponible ici

* L’interview de Nobumichi Asai et de Hiroto Kuwahara a été réalisée dans le cadre de cet article du magazine Victoire sur "L'esthétique du futur" by Le boudoir numérique. 

Ludmilla Intravaia