Le boudoir numérique

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“Le face mapping pourrait être utilisé comme du maquillage”

Project Omote by Nobumichi Asai

Nobumichi Asai s’est fait remarquer sur internet, grâce au projet Omote, la projection vidéo d’un maquillage virtuel sur le visage d’un mannequin, par face mapping. Pour l’artiste japonais, interviewé par Le boudoir numérique, nulle doute qu’à l’avenir une technologie comme le makeup numérique "nous permettra de contrôler l’image que nous renvoyons aux autres, de manière plus active et personnelle".

Le boudoir numérique : Votre projet Omote, la projection vidéo d’un maquillage virtuel sur le visage d’un mannequin, en temps réel, par face mapping, met la technologie au service de l’expression artistique. Pourquoi avoir choisi de créer ce makeup numérique?

Nobumichi Asai, artiste japonais, réalisateur et directeur technique du projet Omote : Je m’intéresse beaucoup aux capacités de communication du visage et à la diversité de ses gammes d’expressions possibles. Le visage est, en effet, l’une des moyens de communication les plus importants pour exprimer les émotions et les sentiments, notre identité, en somme. Or, il est étonnant de constater à quel point les sentiments perçus peuvent changer en fonction de quelques modifications de formes. Dans Photoshop, par exemple, il suffira de tirer les coins de la bouche un brin vers le bas pour induire une émotion triste sur un visage. L’art extrêmement délicat et profond du maquillage participe tout naturellement de cette démarche. Et faire appel à la technologie du face mapping m’a permis de donner vie au makeup, de lui conférer une réalité qui rehausse ses capacités expressives par le pouvoir du mouvement.

Quelle conception de la beauté avez-vous voulu mettre en avant dans votre projet Omote?

Avec Omote, j’ai voulu sublimer l’esthétique japonaise. En tant que japonais, je suis fier de l’héritage incarné par l’élégance de Kyoto, véhiculant une force inébranlable et digne, une conception de la beauté, non pas conquérante de la nature mais partie inhérente de celle-ci. Une identité japonaise que des créateurs comme Yohji Yamamoto et Issey Miyake expriment dans la mode et qui résonne de manière universelle dans le monde entier. C’est ce que j’espère avoir réussi à accomplir également avec Omote.

Défilé Yohji Yamamoto prêt-à-porter automne-hiver 2014/2015

La technologie s’intègre-t-elle dans cette vision de la beauté?

Tout à fait. La technologie est un grand thème artistique. Nous vivons dans une ère qui lui voue un culte. Au Japon, où l’industrie high-tech s’est énormément développée après la guerre, la technologie est perçue à la fois comme une force susceptible de changer le monde pour un mieux, en nous aidant à résoudre tant les problèmes sociaux que personnels, mais aussi comme un pouvoir dangereux, capable de nous conduire à la destruction. En conséquence, la technologie est devenue une préoccupation incontournable de notre société. C’est sur ce terreau que sont nés le cyber punk et l’animation de science-fiction avec Osamu Tezuka ou Leiji Matsumoto (mangakas japonais à qui l’on doit notamment, les personnages respectifs d’Astro, le petit robot et d’Albator, le corsaire de l’espace, NDLR) et des œuvres comme Akira ou Ghost in the Shell (respectivement des auteurs nippons Katsuhiro Otomo et Masamune Shirow, NDLR). Aujourd’hui, avec l’évolution incroyable de la technologie, elle passe du domaine de la fiction à celui de la réalité. Ce qui relevait de la science-fiction apparait dorénavant comme un plan directeur prophétique de notre temps, dans lequel la figure du robot, et particulièrement son visage iconique, illustre notre société.   

Ghost in the Shell, film d’animation de Mamoru Oshii (1995)

Nobumichi Asai signe, par ailleurs, la vidéo ci-dessous : Ghost in the Shell/virtual reality diver. 

Pourrait-on imaginer que ce makeup virtuel devienne le nouveau maquillage de demain?

Bien sûr. Les expressions du visage ne sont jamais les mêmes, ne fut-ce qu’un instant et cela en raison des émotions changeantes qui nous habitent tout au long de la journée. Avec du maquillage virtuel, il sera possible de contrôler, de manière plus active, l’image que nous projetons aux autres. Comme en utilisant du maquillage conventionnel mais de façon plus audacieuse et personnelle. Il y aura des obstacles à franchir, c’est évident,  mais je ne doute pas qu’on y arrive à terme. Le face mapping devrait ainsi s’intégrer à la routine de beauté des gens qui se mettront à jouer avec leur visage comme un divertissement, comme quand on met un masque d’Halloween, par exemple. Nous aurons recours à l’image de notre choix pour remplacer notre propre visage, cette identité immobile avec laquelle nous sommes nés. Grâce à la technologie, nous serons ainsi peu à peu libérés de toutes limites physiologiques et biologiques.

* Vidéo du projet Omote : https://vimeo.com/103425574

* Vidéo de Ghost in the Shell/virtual reality diver : https://vimeo.com/146866637

* Les vidéos de Nobumichi Asai : https://vimeo.com/nobumichiasai

* Site de Nobumichi Asai : www.nobumichiasai.com

* Le boudoir numérique a également fait l’interview de Paul Lacroix et d’Hiroto Kuwahara, respectivement ingénieur de création et makeup artist du projet Omote. Retrouvez-là ici

* L’interview de Nobumichi Asai a été réalisée dans le cadre de cet article du magazine Victoire sur "L'esthétique du futur" by Le boudoir numérique. 

Ludmilla Intravaia